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Ma vie, mon oeuvre, mes rhumatismes
19 juillet 2014

Et c'est parti pour la suite...

25

 

Et ça a duré.

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Et ça a duré.

Bien entendu, nous ne sommes pas allés laver mon linge, nous avons demandé à un taxi de nous sortir de la ville et de nous déposer dans un hôtel, s’il en connaissait un au bord de la mer de préférence. Il connaissait. Les chauffeurs de taxi connaissent toujours des hôtels en bord de mer. Les chauffeurs de taxi connaissent toutes sortes de choses qui échappent au commun des mortels. C’est pourquoi ils ont choisi ce métier. Ils connaissent par exemple le prix de la course. Laquelle était salée, comme la mer, peut-être davantage. Quelle importance cela pouvait-il bien avoir ? J’étais plein aux as. Et amoureux.

Nous avons pris une chambre avec vue et j’ai payé huit jours d’avance, tout ça parce que aux yeux de l’hôtelier je n’avais pas la tête d’un type qui pouvait en payer une seule. La couleur de peau surtout.

La vue était sur la mer, j’ai oublié de préciser. Quand on est en bord de mer c'est le minimum qu'on est en droit d'attendre. C’était beau, il y avait des vagues, des trucs comme ça. De l’écume, des jours à vivre heureux, des sacs plastiques ramenés par le ressac, du sable, du vent et un horizon sur lequel se couchait un soleil qui, aurait-on dit, n’avait été créé que pour nous. Il s’écrasait sur cette ligne, s’étalant en une tache orangée qui faisait penser à du ketchup mélangé de yaourt. C’était la première fois de ma vie que je me trouvais si près de l’océan,  et celui-ci en valait un autre, pour l’usage que j’avais à en faire. Je n’avais jamais quitté Wannacut. Ça valait vraiment le coup d’œil.

L’hôtel était quasi désert, ainsi que la plage qui, elle, l’était tout à fait. Cyndy et moi nous sommes déshabillés et nous avons nagé longuement, nous sommes battus comme des gosses et nous avons fait l’amour avec les vagues du ressac qui venaient régulièrement voir où nous en étions et nous recouvraient comme d’un voile pudique jeté sur la scène que nous offrions aux étoiles qui peu à peu naissaient dans le ciel tandis que le soleil descendait son échelle pour aller se coucher.

Ensuite j’ai fait un truc qui a épaté Cyndy pour de bon. J’ai pris mon poignard, qui ne me quittait pas, et, m’étant reculé d’une dizaine de pas, je l’ai lancé en direction d’un arbre mort couché là sur la plage et qui avait dû être déposé par la mer lors d’une marée, un arbre tout blanc, de la pâleur d’un cadavre et qui scintillait doucement sous la lune naissante. Je suis allé le retirer et je l’ai relancé, vingt ou trente fois, puis j’ai dit à Cyndy de s’approcher. Jet après jet j’avais dessiné un cœur traversé par une flèche, un truc de gamin, mais dont je n’étais pas peu fier. Si je suis devenu si habile au lancer de couteau, c’est que, à Wannacut, lorsque je ne lisais pas ou que je n’étais pas occupé à retaper ma Ford, je passais des heures à m’entraîner sur la porte délabrée de la grange paternelle. Je dessinais à la craie des figures géométriques complexes, je choisissais un point précis dans ce dessin et j’étais capable d’atteindre mon but des deux mains et presque les yeux fermés. J’aurais pu faire carrière au music-hall ou dans un cirque.

Cyndy a applaudi et je lui ai dit que si elle voulait j’étais de taille à y graver nos initiales, mais elle a trouvé que c’était assez comme ça et puis le soleil ronflait désormais tout à fait dans son lit d’écume, aussi sommes-nous rentrés à l’hôtel et avons-nous pris un repas de poissons comme je n’aurais jamais osé en rêver. Aux chandelles. Pas le poisson, le repas.

Je n’avais pas la moindre idée sur la suite à donner à cette aventure, mais j’avais décidé de ne pas m’en faire, de me laisser vivre, de NOUS laisser vivre, merde, nous avions bien mérité un peu de répit l’un et l’autre et, comme m’avait un jour dit mon copain Jef : Le malheur ne fait pas de bien et le bonheur ne fait pas de mal. Je le vérifiais.

A mesure que les heures passaient j’oubliais que sans doute on était à mes trousses, que j’avais tué deux hommes, qu’une moto qui n’était pas tout à fait une moto m’attendait quelque part dans une cave de Port-Cinglant, si bien que même les années de mon enfance puis celles qui avaient suivi, qui avaient enregistré mes pires humiliations, la couleur de ma peau qui dans ce pays faisait de vous un suspect à priori, toutes ces choses qui avaient pesé de tout leur poids sur mon existence, glissaient peu à peu dans un lénifiant oubli. Et il me semblait que Cyndy elle aussi se laissait aller à cette douce indolence, que ses plaies jusque là à vif commençaient à cicatriser, bien qu’elle fût sur le qui-vive, légèrement inquiète, n’osant s’aventurer à trop croire en ce qui lui arrivait, mais me faisant tout de même confiance, sentiment que personne avant elle n’avait manifesté à mon endroit.

Nous savions l’un et l’autre cet équilibre fragile. Et c’était un sujet que nous n’abordions pas. Nous n’aurions su qu’en faire. Nous avions conscience qu’y toucher aurait produit le même effet désastreux que poser le doigt sur les ailes d’un papillon et que peut-être le bonheur qui nous restait à vivre était aussi éphémère que le temps de vie de ces lépidoptères. Mais nous savions également intuitivement que tout se mesure non pas en durée mais en intensité et qu’une existence courte et intense valait mille fois mieux qu’une vie longue et ennuyeuse, dépourvue de surprise. D’autre part, mes lectures – et notamment celle d’Aronoff – m’avaient appris que la vie a toujours beaucoup plus d’imagination que nous n’en aurons jamais et que l’inattendu pouvait surgir à tout moment. Jusque et y compris à l’instant où on s’y attendait le plus, mais que ce n’était jamais ce à quoi l’on pensait devoir s’attendre.

Ce à quoi je m’attendais, c’était d’entendre mon nom aux informations, mais toujours rien de ce côté.

Il y avait un poste de télé au bar de l’hôtel et Cyndy et moi avons écouté les nouvelles tardives tout en sirotant un verre et en se bécotant, se touchant, se mordillant les oreilles, se pressant les mains, riant en sourdine, rien que pour nous et se disant de tendres bêtises. Je prenais goût à l’alcool. L’incendie ravageait toujours le sud du pays. Un sportif de haut niveau avait été convaincu de dopage. Non seulement les guerres en cours ne s’étaient pas arrêtées, mais de nouveaux conflits éclataient chaque jour. La bourse avait cloturé à la hausse. Le sida causait chaque jour la mort de milliers de personnes dans le monde. C’était l’anniversaire de la mort de Frank Sinatra. Un attentat suicide avait fait 52 victimes et une petite fille avait perdu sa fouine apprivoisée. Les parents offraient une récompense à qui donnerait un renseignement ouvrant sur une piste sérieuse. Un homme venait d’être exécuté par fusillade. On lui avait laissé le choix entre le peloton d’exécution et l’injection létale, preuve que dans ce pays on était démocrate et qu’on respectait les droits de l’homme. Qu’il n’y eût pas la moindre preuve de sa culpabilité et qu’il clamât son innocence depuis plus de trente ans qu’il était enfermé dans le couloir de la mort ne comptait pour rien au regard du fait que la loi avait été appliquée, comme elle doit l’être, avec fermeté et humanité.

Et moi qui avais tué deux hommes, j’étais accoudé au bar d’un hôtel de luxe aux côtés de la plus merveilleuse fille qui soit.

Mais qui avait dit que tuer un homme était un crime, en tuer des milliers s’appelait une guerre ? Et dans les guerres, à part quelques tortionnaires qui servent de boucs-émissaires, chacun sait qu’il n’y a pas de coupables.

On apprenait aussi que la terre tournait sur elle-même aux environs de 1700 kilomètres par heure et que la lune s’éloignait d’un peu plus de 3 cm par an. Un jour, ou plutôt une nuit, on ne la verrait plus !

Un type un peu saoul, accoudé au comptoir commentait les infos : « merde, il a fait, plus on tarde à y remettre les pieds, plus ça va coûter cher en carburant ! » C’était frappé au coin du bon sens, n’empêche que rien n’était fait pour rester stable. L’équilibre c’était la mort. Lavoisier avait raison. Tout, sous sa forme actuelle, était appelé à disparaître. Pourquoi pas Al ? Pourquoi pas Roger ?

Tout donc était en ordre. C’est à dire que c’était le bordel.

Bien entendu, nous ne sommes pas allés laver mon linge, nous avons demandé à un taxi de nous sortir de la ville et de nous déposer dans un hôtel, s’il en connaissait un au bord de la mer de préférence. Il connaissait. Les chauffeurs de taxi connaissent toujours des hôtels en bord de mer. Les chauffeurs de taxi connaissent toutes sortes de choses qui échappent au commun des mortels. C’est pourquoi ils ont choisi ce métier. Ils connaissent par exemple le prix de la course. Laquelle était salée, comme la mer, peut-être davantage. Quelle importance cela pouvait-il bien avoir ? J’étais plein aux as. Et amoureux.

Nous avons pris une chambre avec vue et j’ai payé huit jours d’avance, tout ça parce que aux yeux de l’hôtelier je n’avais pas la tête d’un type qui pouvait en payer une seule. La couleur de peau surtout.

La vue était sur la mer, j’ai oublié de préciser. Quand on est en bord de mer c'est le minimum qu'on est en droit d'attendre. C’était beau, il y avait des vagues, des trucs comme ça. De l’écume, des jours à vivre heureux, des sacs plastiques ramenés par le ressac, du sable, du vent et un horizon sur lequel se couchait un soleil qui, aurait-on dit, n’avait été créé que pour nous. Il s’écrasait sur cette ligne, s’étalant en une tache orangée qui faisait penser à du ketchup mélangé de yaourt. C’était la première fois de ma vie que je me trouvais si près de l’océan,  et celui-ci en valait un autre, pour l’usage que j’avais à en faire. Je n’avais jamais quitté Wannacut. Ça valait vraiment le coup d’œil.

L’hôtel était quasi désert, ainsi que la plage qui, elle, l’était tout à fait. Cyndy et moi nous sommes déshabillés et nous avons nagé longuement, nous sommes battus comme des gosses et nous avons fait l’amour avec les vagues du ressac qui venaient régulièrement voir où nous en étions et nous recouvraient comme d’un voile pudique jeté sur la scène que nous offrions aux étoiles qui peu à peu naissaient dans le ciel tandis que le soleil descendait son échelle pour aller se coucher.

Ensuite j’ai fait un truc qui a épaté Cyndy pour de bon. J’ai pris mon poignard, qui ne me quittait pas, et, m’étant reculé d’une dizaine de pas, je l’ai lancé en direction d’un arbre mort couché là sur la plage et qui avait dû être déposé par la mer lors d’une marée, un arbre tout blanc, de la pâleur d’un cadavre et qui scintillait doucement sous la lune naissante. Je suis allé le retirer et je l’ai relancé, vingt ou trente fois, puis j’ai dit à Cyndy de s’approcher. Jet après jet j’avais dessiné un cœur traversé par une flèche, un truc de gamin, mais dont je n’étais pas peu fier. Si je suis devenu si habile au lancer de couteau, c’est que, à Wannacut, lorsque je ne lisais pas ou que je n’étais pas occupé à retaper ma Ford, je passais des heures à m’entraîner sur la porte délabrée de la grange paternelle. Je dessinais à la craie des figures géométriques complexes, je choisissais un point précis dans ce dessin et j’étais capable d’atteindre mon but des deux mains et presque les yeux fermés. J’aurais pu faire carrière au music-hall ou dans un cirque.

Cyndy a applaudi et je lui ai dit que si elle voulait j’étais de taille à y graver nos initiales, mais elle a trouvé que c’était assez comme ça et puis le soleil ronflait désormais tout à fait dans son lit d’écume, aussi sommes-nous rentrés à l’hôtel et avons-nous pris un repas de poissons comme je n’aurais jamais osé en rêver. Aux chandelles. Pas le poisson, le repas.

Je n’avais pas la moindre idée sur la suite à donner à cette aventure, mais j’avais décidé de ne pas m’en faire, de me laisser vivre, de NOUS laisser vivre, merde, nous avions bien mérité un peu de répit l’un et l’autre et, comme m’avait un jour dit mon copain Jef : Le malheur ne fait pas de bien et le bonheur ne fait pas de mal. Je le vérifiais.

A mesure que les heures passaient j’oubliais que sans doute on était à mes trousses, que j’avais tué deux hommes, qu’une moto qui n’était pas tout à fait une moto m’attendait quelque part dans une cave de Port-Cinglant, si bien que même les années de mon enfance puis celles qui avaient suivi, qui avaient enregistré mes pires humiliations, la couleur de ma peau qui dans ce pays faisait de vous un suspect à priori, toutes ces choses qui avaient pesé de tout leur poids sur mon existence, glissaient peu à peu dans un lénifiant oubli. Et il me semblait que Cyndy elle aussi se laissait aller à cette douce indolence, que ses plaies jusque là à vif commençaient à cicatriser, bien qu’elle fût sur le qui-vive, légèrement inquiète, n’osant s’aventurer à trop croire en ce qui lui arrivait, mais me faisant tout de même confiance, sentiment que personne avant elle n’avait manifesté à mon endroit.

Nous savions l’un et l’autre cet équilibre fragile. Et c’était un sujet que nous n’abordions pas. Nous n’aurions su qu’en faire. Nous avions conscience qu’y toucher aurait produit le même effet désastreux que poser le doigt sur les ailes d’un papillon et que peut-être le bonheur qui nous restait à vivre était aussi éphémère que le temps de vie de ces lépidoptères. Mais nous savions également intuitivement que tout se mesure non pas en durée mais en intensité et qu’une existence courte et intense valait mille fois mieux qu’une vie longue et ennuyeuse, dépourvue de surprise. D’autre part, mes lectures – et notamment celle d’Aronoff – m’avaient appris que la vie a toujours beaucoup plus d’imagination que nous n’en aurons jamais et que l’inattendu pouvait surgir à tout moment. Jusque et y compris à l’instant où on s’y attendait le plus, mais que ce n’était jamais ce à quoi l’on pensait devoir s’attendre.

Ce à quoi je m’attendais, c’était d’entendre mon nom aux informations, mais toujours rien de ce côté.

Il y avait un poste de télé au bar de l’hôtel et Cyndy et moi avons écouté les nouvelles tardives tout en sirotant un verre et en se bécotant, se touchant, se mordillant les oreilles, se pressant les mains, riant en sourdine, rien que pour nous et se disant de tendres bêtises. Je prenais goût à l’alcool. L’incendie ravageait toujours le sud du pays. Un sportif de haut niveau avait été convaincu de dopage. Non seulement les guerres en cours ne s’étaient pas arrêtées, mais de nouveaux conflits éclataient chaque jour. La bourse avait cloturé à la hausse. Le sida causait chaque jour la mort de milliers de personnes dans le monde. C’était l’anniversaire de la mort de Frank Sinatra. Un attentat suicide avait fait 52 victimes et une petite fille avait perdu sa fouine apprivoisée. Les parents offraient une récompense à qui donnerait un renseignement ouvrant sur une piste sérieuse. Un homme venait d’être exécuté par fusillade. On lui avait laissé le choix entre le peloton d’exécution et l’injection létale, preuve que dans ce pays on était démocrate et qu’on respectait les droits de l’homme. Qu’il n’y eût pas la moindre preuve de sa culpabilité et qu’il clamât son innocence depuis plus de trente ans qu’il était enfermé dans le couloir de la mort ne comptait pour rien au regard du fait que la loi avait été appliquée, comme elle doit l’être, avec fermeté et humanité.

Et moi qui avais tué deux hommes, j’étais accoudé au bar d’un hôtel de luxe aux côtés de la plus merveilleuse fille qui soit.

Mais qui avait dit que tuer un homme était un crime, en tuer des milliers s’appelait une guerre ? Et dans les guerres, à part quelques tortionnaires qui servent de boucs-émissaires, chacun sait qu’il n’y a pas de coupables.

On apprenait aussi que la terre tournait sur elle-même aux environs de 1700 kilomètres par heure et que la lune s’éloignait d’un peu plus de 3 cm par an. Un jour, ou plutôt une nuit, on ne la verrait plus !

Un type un peu saoul, accoudé au comptoir commentait les infos : « merde, il a fait, plus on tarde à y remettre les pieds, plus ça va coûter cher en carburant ! » C’était frappé au coin du bon sens, n’empêche que rien n’était fait pour rester stable. L’équilibre c’était la mort. Lavoisier avait raison. Tout, sous sa forme actuelle, était appelé à disparaître. Pourquoi pas Al ? Pourquoi pas Roger ?

Tout donc était en ordre. C’est à dire que c’était le bordel.

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