Chapitre 36
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Au moment où la porte de l'ascenseur se refermait sur nous, j'ai vu entrer dans l'hôtel deux malabars à l'air patibulaire, accompagnés d'une pute. Enfin, je sais pas si c'était une pute, elle avait plutôt l'air d'une chanteuse cabaret sur le retour, mais c'est souvent la même chose. Un frisson m'a parcouru l'échine, sans raison. Mais j'avais d'autres chats à fouetter avec le sergent Bonny entre les pattes et pas la moindre idée de ce que nous allions en faire, sinon le conduire à sa chambre, aussi ai-je chassé cette mauvaise impression. J'ai poussé sur le bouton du rez-de-chaussée où nous nous trouvions et où se situait également la chambre treize et demi. La porte du fond de l'ascenseur s'est ouverte et nous avons trimballé Bonny le long d'un couloir qui distribuait les chambres 0,5 à 14 pour retrouver un juste équilibre arithmétique et équipé de lampes à huile qui diffusaient une lumière jaunâtre et dispensaient dans l'air raréfié une acre fumée qui vous prenait à la gorge.
Par bonheur la porte n'était pas fermée à clé et il a suffit de faire jouer la clenche pour pénétrer dans le home de Bonny.
Comme la nôtre, sa chambre était décorée de piolets, de cordes de rappel, de broches et de pitons. Des photos d'alpinistes en train de dévisser achevaient le tableau et assuraient à l'ensemble une ambiance montagnarde. Les clichés avaient été pris depuis un hélicoptère de la sécurité civile et étaient mis au crédit d'un sauveteur féru de photographie. Le type s'était servi d'un téléobjectif, si bien qu'on pouvait voir sur le visage des hommes en pleine chute, l'effroi qui les gagnaient à mesure qu'ils s'approchaient du sol. Un seul avait un air réjoui : il profitait simplement de sa chute pour s'offrir la sensation de sauter en parachute. Chacun s'arrange comme il peut avec la réalité de sa vie pour chasser de son esprit les moments désagréables.
Nous avons lâché Bonny sur son lit dont le sommier à touché le sol avant de reprendre sa place, non sans avoir accompli plusieurs aller-retour grinçants. Il est resté où le dernier rebond l'avait déposé. Il bandait toujours comme un satyre.
- Le concierge avait raison, ai-je déclaré. Il a besoin d'une douche froide.
- Pauvre homme, on ne peut pas le laisser dans cet état, a dit Cyndy d'une voix pleine de compassion et sans quitter des yeux l'énorme mandrin de Bonny qui pointait vers le plafond comme s'il voulait aller y chercher une mouche, il y a peut-être mieux à faire pour lui...
- Sans doute, mais quoi ? ai-je demandé. Cyndy n'a pas répondu directement à ma question, elle a pris un chemin détourné.
- Ça serait dommage de laisser perdre tout ça... a-t-elle sussuré.
- Tu veux dire que...
- Écoute Jonas, c'est pas comme si je prenais un amant, c'est plutôt comme un godemiché. Tu vas pas être jaloux d'un godemiché ?
- N... non...
- Et puis ça serait une bonne action. J'ai pas tellement eu l'occasion d'en faire dans ma vie.
- Bon, j'ai dit. C'est comme tu veux...
- Tu m'en veux pas ?
- Penses-tu...
- Sûr ?
- Sûr... J'ai passé mon pantalon et mon T-shirt et je suis allé à la porte. Cyndy avait commencé à s'occuper de Bonny, il avait l'air d'apprécier la caresse.
- Tu ne veux pas rester ?
- J'ai envie de prendre l'air, faire un tour...
- Mais on en vient !
- Eh bien j'y retourne, je n'ai pas eu mon comptant.
Je n'étais pas vraiment jaloux, un peu étonné tout de même. Après tout Cyndy et moi ne nous connaissions que depuis peu de temps et je n'y entendais rien aux femmes et de plus nous n'avions prêté aucun serment. Pour moi qui aimait tant ma liberté, je tenais l'occasion de prouver que je tenais autant à celle des autres.
J'ai refermé la porte comme on jette un voile pudique et je suis ressorti par l'ascenseur.
- Je te raconterai ! m'a lancé Cyndy avant que la porte coulissante ne se referme.
J'ai demandé au concierge de m'appeler un taxi, mais il y en avait déjà un qui venait de déposer un client et qui prenait un verre au bar de l'hôtel. Je connaissais le bonhomme. Je crois qu'il s'appelait Gaston.
- Vous êtes libre ? Je lui ai demandé.
- Je finis mon verre et on y va.
- Prenez votre temps, je dois repasser par ma chambre.
Je devais en effet aller chercher un peu de fric, car j'avais une idée en tête. Quelque chose à faire pour Bonny qui était plus de mon ressort.
- Et il va où le Monsieur ? Il m'a demandé quand je suis revenu.
- Conduisez-moi en ville, j'ai besoin d'acheter des habits.
- Je vous dépose devant un magasin ?
- Si ce n'est pas trop vous demander.
Nous avons roulé quelques minutes, le chauffeur n'arrêtait pas de me lorgner dans son rétroviseur.
- Quelque chose ne vas pas ? j'ai dit.
- Non... écoutez, je me mêle peut-être de ce qui me regarde pas, mais... vous n'avez pas croisé deux malabars dans l'hôtel ?
- J'en ai aperçu deux, en effet. Pourquoi ?
- Eh bien... en quelque sorte c'est moi qui les ai amenés... je les ai guidés, ils m'ont payé pour ça. Mais ils m'ont pas payé pour rien dire, alors...
- Alors quoi ? j'ai dit de plus en plus mal à l'aise.
- Eh bien, en papotant, comme ça, y en a un qui m'a dit qu'il cherchait un jeune noir...
- Oui ? Et alors ?
- Et alors, vous êtes jeune et vous êtes noir... J'aime pas beaucoup ces types. Ils cherchent un jeune noir amateur de vieilles motos qui sont pas tout à fait des motos. J'ai rien compris, mais je vous le répète comme il me l'a dit. Vous avez une vieille moto ?
- Non... Ils doivent chercher quelqu'un d'autre. Je ne suis pas le seul jeune noir dans ce pays.
- C'est exactement ce que je lui ai dit ! Enfin, je suis content que ça soye pas vous qu'ils cherchent, parce que je voudrais pas être à sa place. C'est truands et compagnie ! De la racaille !
Nous avons laissé un silence s'installer entre nous. Le chauffeur continuait à m'observer par de brefs coups d'œil dans son rétroviseur. Nous étions perdus chacun dans ses pensées, ses réflexions. Finalement il s'est raclé la gorge.
- Remarquez, il a dit, d'une certaine manière j'aurais préféré que ça soye vous...
- Ah bon ?
- Ouais. Je m'emmerde dans ce boulot, c'est rien de le dire. Un peu d'aventure me ferait pas de mal. J'ai toujours rêvé qu'il m'arrive un truc pas ordinaire, du genre : suivez cette voiture, mais rien, que dalle, alors si vous aviez été ce type, je vous aurais volontiers donné un coup de main pour éliminer ces types.
- C'est gentil, mais c'est pas moi.
- Vous en êtes sûr ?
- Autant que deux et deux. Désolé.
- Parce que, regardez... Il a ouvert sa boite à gant et il en a extrait un flingue. Pas un jouet, pas un de ces petits pistolets de gonzesse. Un putain de calibre ! C'est pour me défendre, il a dit, au cas où. Mais y a jamais eu de cas où, c'est ça le problème.
- Eh ! C'est dangereux votre truc !
- Un peu mon n'veu ! C'est fait pour ça ! Alors, vous êtes sûr de pas être ce nè... ce noir que ces types recherchent ?
- Avec la meilleure volonté du monde, je suis juste un pov' nèg ! ai-je dit.
- Tant pis, il a fait. On est arrivé. Je vous attend ?
- Si c'est un effet de votre bonté.
- Fais tes emplettes tranquillement. Je t'attends mon pote. Et je vais couper mon compteur. Tu m'plais bien.
Je lui ai refilé un gros billet.
- Pour la course et l'attente, j'ai dit. Vous avez besoin de gagner votre vie et j'ai beau être un nègre, je suis honnête.
- Y a pas un blanc qui t'arrive à la cheville, petit, a-t-il déclaré.
Je suis entré dans le magasin, j'ai alpagué un vendeur et je lui ai demandé de me montrer les plus grandes tailles de fringues qu'ils avaient. Il m'a guidé vers un rayon et m'a dit que je trouverais ce que je cherchais. Mais c'était pour les grands maigre comme moi, pas pour les petits gros comme Bonny. Je lui ai expliqué ce que je voulais réellement.
- C'est pour mon grand frère, j'ai dit. Il est malade et il est gros.
- Quelle taille il a fait ?
- Le plus gros possible !
Je suis ressorti avec un jean, une chemise à fleurs et une veste capable de garantir un peu de chaleur pour les soirées qui étaient fraîches. Mon taxi m'attendait. J'avais eu le temps de penser à ce qu'il m'avait proposé. Et aussi à faire des sortes de comptes. Bonny, les deux flics « en vacances », les deux truands, qui encore ? Oui, ce type suspect qui posait des questions indiscrètes sur mes goûts et qui lui prétendait aimer les vieilles motos qui n'ont pas l'air de motos. Ça faisait beaucoup. Un allié ne serait pas de trop. J'ai décidé de me lancer.
- On peut vous faire confiance ? ai-je demandé en reprenant ma place.
- Moi ? Je l'ai pas prouvé ?
- Juste, excusez-moi.
- Donc, je me suis pas trompé, vous êtes bien ce type...
- Ça se pourrait.
- Je peux savoir pourquoi ils vous cherchent ? Vous comprenez, si je m'engage avec vous, faut que je sache où je mets les pieds...
- Bien raisonné. Je leur ai piqué du fric.
- Ah... beaucoup ?
- Pas mal. Je dirais un demi million. J'ai pas compté.
- Pffff !
- Comme vous dites. Si vous m'aidez, une partie sera pour vous. J'ai hésité à parler de Al et de cet autre type, le mac de Cyndy dont j'avais aussitôt oublié le nom. Je n'avais pas envie de tout dire. Voler du fric à des truands, bon, c'était romantique, mais assassiner sans raison un pauvre type... mon allié pouvait tout aussi bien retourner sa veste, bien que j'en doutasse. Il m'avait l'air assez fiable dans son désir de vivre une aventure généralement hors de portée du commun des mortels.
- On procède comment ? Il a dit. J'ai apprécié son calme, qu'il ne m'assaille pas de questions. Il Voulait Vivre une Aventure et s'en remettait totalement à moi. J'avais ma petite idée que je lui ai soumise. Il y a apporté quelques amendements, comme diraient des députés de l'opposition et, comme ils étaient judicieux, je les ai acceptés, contrairement aux élus de la majorité. J'aurais fait un très mauvais homme politique.
- Votre amie ne va pas vous attendre ? Il m'a demandé.
- Elle est très occupée, j'ai répondu.
- Les femmes trouvent toujours à s'occuper, a-t-il assuré doctement.
- Elle soigne un blessé, l'ai-je informé.
- Elle est infirmière ?
- Non, mais elle très douée dans le genre de soins dont il a besoin.
- Oui, elle m'a paru être une personne bien.
- On ne peut mieux.
- Au fait, moi c'est Terry, ( ouf ! on a longtemps cru qu'il portait le ridicule prénom de Gaston ! ) et toi ?
- Jonas.
- Eh bien, Jonas, on va les niquer ! Passe à l'avant. T'es plus un passager maintenant. T'es mon partenaire.
Ce mec là avait vu trop de films de série B, mais il avait une arme.
Nous nous sommes garés de façon à pouvoir observer l'hôtel et ses environs. Puis Terry, mon chauffeur et complice est allé s'assurer par lui-même que personne de suspect ne traînait dans le coin. C'était le cas, aussi ai-je filé aussi vite que possible jusqu'à ma chambre. Notre chambre. J'ai tourné la clé et poussé la porte. Les deux types que j'avais aperçus plus tôt étaient là. La fille aussi. La chanteuse sur le retour. Ils avaient pris soin de refermer pour ne pas éveiller mes soupçons. A vrai dire, je ne sais pourquoi, je m'y attendais. Je n'ai pas sursauté. Je suis resté très calme. Aucun ne braquait une arme sur moi. Je n'ai pas fait mine de fuir, à quoi bon ? Ils m'auraient rattrapé en quelques secondes, avant que je n'atteigne l'ascenseur et n'en ouvre la porte, pour peu qu'il soit au bon étage. Ou ils m'auraient tiré une balle dans le dos. Ces porte-flingue dégainent plus vite qu'un rayon de soleil ne met de temps à atteindre la terre. Et heureusement sinon ils seraient morts depuis longtemps, celui-ci ayant besoin de huit minutes et trente secondes environ pour parcourir les 150 000 000 de kilomètres qui séparent les deux astres. Mais c'est pour dire.
Ils étaient assis sur le lit. L'un d'eux jouait avec une figurine représentant Schreck et ne leva pas les yeux sur moi. L'autre sourit simplement. La fille me fit un petit signe amical de la main.
- Je pense que nous avons à parler, il a dit. A côté de lui reposait mon sac. Les pompes jaunes de Al étaient alignées en évidence à la droite du sac. Et la grille de l'aération où je l'avais glissé quand j'étais retourné chercher du fric était posée contre le mur. Il palpait le sac, le tapotait du plat de la main avec douceur et ce geste était plus inquiétant qu'une menace de mort. Ou pire : de torture.
Bizarre, je n'avais pas peur. Mon poignard était glissé dans mon pantalon, sur mes reins et je pensais pouvoir être plus rapide que lui s'il faisait mine de porter la main au flingue qui se tenait au chaud sur son cœur, bien serré dans son holster.
- Assied-toi, il m'a dit en désignant du menton la chaise qu'il avait placée à côté de la porte à cet effet.
J'obtempérai. S'il voulait parler, c'est qu'il n'avait pas (encore) l'intention de tuer. Il n'en avait de toute évidence pas reçu l'ordre, ce qu'il me confirma bien vite. Ce n'était pas à lui que j'avais piqué le pognon, mais à son patron. J'étais curieux de savoir qui il était. Non, je savais. C'était le curieux de la plage, l'homme affable qui avait tenté de me tirer les vers du nez. Ma main au feu.
Il a posé la sienne sur les chaussures jaunes : « La dernière fois que j'ai vu ces pompes, il a dit, il y avait un type vivant dedans. Il s'appelait Al. »
- Possible, j'ai dit.
- Et la dernière fois que j'ai vu Al vivant, il montait dans une Pontiac flambant neuve avec une mallette dans laquelle il y avait ce fric. Il a tapoté mon sac. Tu pourrais m'expliquer comment il se fait que le tout se retrouve ici, dans ta chambre ?
- Je ne vois pas de Pontiac, ai-je ironisé.
- Joue pas trop au malin avec moi.
- Et il lui est arrivé quoi à votre Al ? Peut-être qu'il a été faire un tour et qu'il va rappliquer. On ne laisse pas de si jolies chaussures et autant de fric dans la chambre d'un inconnu. Surtout s'il est noir...
- T'y tiens décidément pas à ta peau noire, hein ? Je vais te dire ce que je crois. Je crois que Al a croisé ta route...
- Possible, on croise tellement de gens avec des mallettes de nos jours...
- … et je crois que tu es la dernière personne qu'il ait croisée...
- Comment savoir ? Il faudrait le lui demander.
- Bon, on arrête de plaisanter. Mon patron va être content de te voir...
- Oui ? Moi aussi...
Son sourire s'est élargi. Son visage en était presque avenant.
- Si tu le dis... Mais en attendant, j'aimerais bien que tu répondes à quelques questions.
J'en ai posé une moi-même, ce qui l'a décontenancé.
- Tu t'appelles comment ?
- Moi ? Ma... Georg. Toi je sais, tu es Jonas. Nous avons rendu une petite visite à tes parents, Max et moi.
- Max ? C'est le truc, là ? Vous leur avez fait quoi, à mes parents ?
- Rien...
- J'aime autant ça. Ils ne sont pas au courant.
- Je sais.
- Comment vous m'avez trouvé ?
- C'est mon boulot.
- J'ai pas laissé une trace.
- Si. Ta bagnole.
- Un point. Mais ici, à cet hôtel ?
- Bon. C'est moi qui pose les questions !
- Certes, mais je n'ai pas de réponses ! Vous avez les pompes de Al, vous avez le fric... moins un tout petit peu, j'ai eu des frais... Qu'est-ce que vous voulez de plus ?
- J'ai envie de comprendre ! Comment tu savais que Al transportait ce fric ?
Je cherchais à gagner du temps. Putain, que faisait Terry ? Qu'est-ce qu'il attendait pour intervenir ?
- Je ne répondrai qu'en présence de... votre patron, ai-je signifié.
- J'ai les moyens de te faire parler ! Il m'a demandé de ne pas te tuer, mais je peux te faire énormément souffrir.
- Je n'en doute pas une seconde. Mais souffrir, j'ai fait ça toute ma vie. Tu vas avoir du fil à retordre. Et t'apprendras rien de bien génial.
C'était surréaliste. Nous tenions cette conversation tranquillement assis, lui sur mon lit et moi sur cette stupide chaise de formica. Et il avait beau me menacer, je n'arrivais pas à le prendre totalement au sérieux. Et puis la porte a claqué contre le mur et Terry a jailli dans la chambre, quasiment à l'horizontale, il a fait un saut périlleux avant et il est retombé, les jambes tellement écartées qu'il en avait les couilles à ras du sol. OUILLE ! Il a fait. Il pointait son arme à deux mains, visant les pieds d'un type puis de l'autre en gueulant on bouge pas ! on bouge pas ! Puis il s'est arrêté sur mon vis-à-vis qui n'avait pas bronché. Des nerfs d'acier. Ou de carbone, c'est assez solide aussi.
- Personne ne bouge ! A hurlé de nouveau Terry. Les mains en l'air ! Personne n'a fait mine de les lever. Il transpirait à grosses gouttes et sa main tremblait un peu, mais il tenait ferme son arme. Il s'est redressé avant de chopper un tour de reins ou de se faire une élongation ou un claquage musculaire et il a dit ouf ! Je suis arrivé à temps on dirait ! Il connaissait ses répliques. L'autre type sur le lit a juste levé les yeux un instant et il s'est replongé dans son jeu. Toutes les quelques secondes, Schreck disait : GRRrrr ! Mein Kleinermann ! et ça le faisait rire. Il enlevait et lui remettait son espèce de bandeau et ça recommençait. GRRrrr ! Mein Kleinermann !
- Georg, c'est qui ? il a demandé.
- T'occupe, Max, a dit le dénommé Georg. Joue. Puis, à l'adresse de Terry. Bon. Vous voyez les choses comment ? Terry a été surpris par la question. Il m'a regardé, interrogé du regard. A mon avis, il était encore un peu jeune en tant qu'aventurier. Il manquait d'expérience. Indiana Jones à sa place se serait fendu d'une réplique cinglante et pleine d'un humour distancié, du genre : avec mon œil, celui avec lequel je vous ai, mais Terry n'avait pas une équipe de scénaristes à sa disposition.
- Eh bien oui, a dit le dénommé Georg, c'est vous qui tenez l'arme, alors montrez-vous à la hauteur ou faut-il que je vous dise quoi faire ?
- Si on allait voir ton patron, ai-je suggéré. Entre personnes intelligentes il y a toujours moyen de s'entendre. Au fait, comment tu as dit qu'il s'appelait ?
- Winkel. Mais je n'ai rien dit. Et je ne pense pas que vous pourrez vous entendre. A ta place, tu sais ce que je ferais ? Je profiterais de mon avantage pour filer. Je laisserais le fric et je filerais le plus vite et le plus loin possible, en espérant qu'il en restera là. Si tu veux, j'essaierai de le convaincre que tu n'en vaux pas la peine.
- Oui, mais tu n'es pas à ma place et je crois que je vais suivre ton conseil, je vais filer le plus loin possible, mais avec le fric. Je l'ai bien mérité. Et j'en ai plus besoin que ton Winkel.
- On te retrouvera de nouveau. Tu peux en être sûr. Winkel ne lâche jamais. Et moi non plus.
- Et si je te tuais ?
- Tu me tueras pas. C'est pas facile de tuer un homme.
- J'en ai déjà tué deux et ça ne m'a pas posé le moindre problème.
- Deux ?
- Oui, deux. Ne fais pas cette tête, tu ne connais pas le deuxième et il n'a rien à voir dans notre histoire.
- Ouais... je te crois, il a dit après m'avoir observé un moment, mais moi, tu me tueras pas, parce qu'on a parlé ensemble. Non, je ne pense pas que tu me tueras. Mais moi si. Si j'en ai l'ordre et que je te retrouve. Et je te retrouverai. Tu veux que je te dise le fond de ma pensée ? Tu penses que je suis juste un tueur à gage, un esclave qui exécute des ordres sans se poser de question. Et tu crois que de nous deux c'est toi qui es libre. Tu te fourres le doigt dans l'œil. J'exécute des ordres, certes, mais j'ai choisi de le faire. Tant que c'est mon intérêt. Mais toi ? Tu vas passer le reste de tes jours la peur au ventre. Ton ombre te fera trembler. Tu ne profiteras pas une seconde de ta fameuse liberté. Et un jour, n'importe quand, n'importe où, alors que tu auras relâché ta vigilance : pan !
- C'est possible. Je suis prêt à courir le risque.
- T'as une petite copine, non ? Tu es prêt à lui faire courir le risque à elle aussi ? Tu sais que quand on vous aura retrouvés, on l'éliminera elle aussi. Tu sais ça ? C'est ce que tu lui souhaites ? Tu lui as posé la question ?
- Oui. Elle sait tout. Et elle est encore plus que moi déterminée. Tu connais les femmes, quand elles ont une idée en tête... Allons, conduis-moi à ton patron.
J'étais heureux, soulagé que Cyndy soit restée avec Bonny. Je ne sais pas comment elle aurait réagi si les deux tueurs nous avaient trouvés ensemble.
- Bon, a dit Terry, on fait quoi, je commence à avoir des crampes, là...
Je ne lui ai pas répondu, je me suis adressé à Georg : « Tu sais comment on fait des pompes, Georg ? »
- Oui, pourquoi ?
- En position ! jambes et bras écartés. Allez !
Il s'est mis en position, j'ai demandé à Terry de le tenir en joue, le canon sur la tempe, mais il a préféré poursuivre avec le pied, et je l'ai fouillé minutieusement. J'ai trouvé assez d'armes sur lui pour équiper une escouade : pistolet, minuscule révolver scotché à la jambe, poignard, poing américain, arc et flèches, gants de boxe, batte de base-ball, grenades à manche, sabre laser, porte-avions, bon, j'exagère, mais à peine. La seule chose qui manquait à sa panoplie était une bombe thermonucléaire. Puis j'ai désarmé le dénommé Max qui s'est laissé faire avec docilité. Son arsenal était encore plus impressionnant avec le sous-marin de poche et les missiles longue portée. Je me suis demandé un instant si leurs vêtements n'étaient pas confectionnés dans une matière explosive, mais je n'avais pas les moyens techniques de vérifier, aussi leur ai-je donné l'ordre de nous précéder. Je n'ai pas fouillé la fille tant il est rare que les chanteuses sur le retour soient armées. Nous sommes entrés dans l'ascenseur et en sommes ressortis, - le bâtiment ne comportait qu'un rez-de-chaussée - nous avons fait demi-tour, sommes passés devant ma chambre et une minute plus tard j'avais le fameux Winkel à ma merci. Il a tout de suite jugé de la situation. Il est vrai qu'en temps normal mon complice et moi-même aurions dû ouvrir la marche et Max ou Georg nous suivre, une arme pointée sur nos nuques.
- Tu me déçois Max, il a dit à Georg. Te faire avoir comme un bleu, toi !
- J'ai toujours su que ça arriverait et que ce serait à cause d'un cave. Ces mecs sont imprévisibles. Mais, si vous permettez patron, moi c'est Georg.
- Je sais, mais j'arrive pas à m'y faire. En attendant, je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas tenté quelque chose.
- Il menaçait mon pied avec son arme, patron.
- Et alors ?
- Alors ? Je suis sûr que ce type ne sait pas se servir de son arme. Il est capable de m'atteindre au cœur en voulant me tirer dans le pied, alors je vous accorde que je peux vivre avec une balle dans le pied, mais je doute que ce soit possible si elle est dans le cœur.
Je ne comprenais rien à leur échange. et je ne voulais pas me laisser distraire. Aussi ai-je trouvé plus prudent de ne pas avoir à surveiller trois hommes et une femme, j'ai donc décroché du mur une corde de rappel et lié les mains des deux tueurs, puis je les ai noués ensemble, dos à dos et j'ai attaché le paquet ainsi formé au montant du lit. J'en ai fait autant avec Winkel et sa femme qui étaient tous deux en petite tenue et que je n'ai donc pas eu à fouiller. Dommage. Merde, la femme de cette mocheté était un canon ! Un de ses seins jaillissait de son corsage, on aurait dit le mont Fuji Yama. Elle avait l'air de s'en foutre. Je veux dire d'être attachée. Peut-être même que ça l'amusait. Elle s'est permis une réflexion désobligeante à son égard, quelque chose comme tu vois, malgré tout ton pognon où tu en es aujourd'hui !
- Ta gueule il lui a dit. Elle s'est mise à rire et Winkel s'est mis en rogne.
- Tu trouves la situation tellement amusante ? !
- Je pensais simplement qu'on n'a jamais été liés d'aussi près, toi et moi !
- Ça va ? Je n'ai pas serré trop fort ? Je lui ai demandé.
- Tu es qui ? m'a demandé Winkel. Pas ton nom. Tu es qui, tu es quoi dans cette affaire ?
- Moi ? Personne. Vous pouvez m'appeler John Doe, M'sieur.
- C'est toi qui a mon fric ?
- Le seul fric que j'ai c'est le mien. Je l'ai gagné.
- Qui t'a envoyé ? C'est ce fumier de...
- Personne m'a envoyé. C'est le hasard.
- Tu as tué Al par hasard ?
- Parfaitement. Il s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et pour moi ça a été le contraire. Un coup de chance. Le premier et le seul de toute ma putain d'existence.
- Qu'est-ce que tu veux faire maintenant ? Nous tuer ?
- Si je voulais vous tuer vous seriez déjà morts.
- Juste. Alors ?
- Je veux négocier.
- Je ne négocie jamais avec un type qui m'a volé. Comment tu savais que Al avait ce pognon ?
- Je ne le savais pas avant de le tuer.
- Alors pourquoi tu l'as fais ?
- Je ne sais pas. Une envie.
- Une envie ? ? ? !
- Ouais. J'avais envie de sa bagnole et si je la lui avais demandée poliment, je ne crois pas qu'il me l'aurait offerte. Ensuite j'ai vu cette mallette et quand je l'ai ouverte, eh bien vous savez ce que j'y ai trouvé.
- Ouais. Mon fric. Mais si tu veux le garder assez longtemps pour en profiter, tu vas être obligé de tous nous tuer, moi, Max, Georg et ma femme. Tu te sens de tuer une femme, petit ?
- Personne ne va tuer personne.
A ce moment la porte s'est ouverte et Cyndy est entrée, flanquée de Bonny qui souriait aux anges. Il bandait toujours.
- Merde, elle a dit, j'y renonce, personne ne pourrait en arriver au bout. Puis elle a semblé découvrir la scène. Tu t'es fait des amis ? elle a demandé. Tu me les présentes !
- Écoute, Cyndy, j'ai dit, c'est pas vraiment le moment, nous sommes occupés. Tu voudrais pas aller jusqu'au taxi qui se trouve devant l'hôtel et ramener les paquets qui s'y trouvent. C'est des habits pour le sergent Bonny.
- Tu es trognon ! Elle a fait. Tu penses à tout. Mais je voudrais bien participer, merde, vous allez pas vous amuser sans moi ! Moi aussi j'ai envie qu'on m'attache !
Elle s'est approchée de Winkel, lui a soulevé le menton : tu sais que tu es pas mal, toi ! a-t-elle déclaré. T'as un côté un peu macho qui me plaît bien.
- Cyndy ! ai-je supplié, va chercher ces fringues. S'il-te-plaît.
- O.K. mais vous promettez de m'attendre !
- Juré, a dit Georg. On bouge pas. Sympathique ta gonzesse, il m'a dit une fois qu'elle a eu refermé la porte. Avenante.
- Ouais, mais c'est pas du tabac pour ta pipe, j'ai dit.
- Mauvais, a-t-il déclaré.
- Quoi ? Qu'est-ce qui est mauvais ?
- Tu as quelque chose à perdre. Tu es foutu.
J'ai pris le pistolet des mains de Terry et je le lui ai collé sur le front.
- Tu as beaucoup plus à perdre que moi si tu continues dans ce sens, petit, lui -ai-je dit.
Il me fixait, son regard ne cillait ni ne baissait.
- Vas-y, appuie. Tire, qu'est-ce que tu attends ?
J'allais le faire, je le jure, j'étais près à le faire. Je l'aurais fait si à ce moment la porte ne s'était ouverte. Cyndy, j'ai pensé. Mais c'était une inconnue. Moulée dans une mini-robe en jersey qui ne cachait rien de ses formes généreuses et montée sur des talons aiguilles dans lesquels glissaient des bas résilles qui mettaient en valeur, s'il en était besoin, ses jambes aux courbes et proportions parfaites. Elle a dit oh excusez-moi, puis elle a vu Bonny et elle a couru vers lui.
- Chéri ! s'est elle écrié. Mon amour ! Où étais-tu passé ? Je t'ai cherché partout ! Elle l'a enlacé, embrassé, lui a pétri le sexe et s'est laissée tomber à genoux, je ne sais trop pourquoi.
- Qui êtes-vous ? lui ai-je demandé.
- Vous êtes qui ? lui a demandé Winkel.
- Qui c'est cette gonzesse ? a demandé Georg.
- C'est quoi ton petit nom ? lui a sussuré la femme de Winkel.
- Grommmph ! A fait Max.
- GRRrrr ! Mein Kleinermann ! A grogné Schreck.
- Touche pas à mon Bonny pétasse ! a hurlé Cyndy qui revenait sur ces entrefaites. Ni une ni deux, elle a sauté sur la fille pour lui crêper le chignon.
- Cyndy, j'ai dit, s'il-te-plaît, du calme.
Elle a avisé l'érection de Bonny et a baissé les bras.
- Oh, après tout, a-t-elle décidé, il y en a bien pour deux.
- Et moi alors ? s'est plainte la femme de Winkel.
- Et moi alors aussi ? a surenchéri Charlène.
- Vos gueules salopes, a dit Winkel.
- Paf ! a fait ma main sur sa figure. Enfin, on ne parle pas comme ça à une femme ! Même à la sienne.
- Bien fait ! a ricané Georg.
- Viré ! a éructé Winkel.
- Tant mieux ! a grincé Georg. J'en ai assez de cette histoire. Vous me ferez mon compte.
- Je vais te le régler, oui !
- Ah oui ! Tu comptes faire ça avec tes petites mains, connard ?
- Attend seulement que je sois détaché !
C'est pas demain la veille, j'ai dit, si je puis me permettre de me glisser dans votre conversation.
On a frappé à la porte, discrètement.
- Bordel ! a dit Winkel, on sera donc jamais tranquille ?
- Entrez, j'ai fait.
La porte s'est ouverte avec une sorte de timidité. Deux types sont entrés, l'un d'eux avait une figurine de Schreck entre les mains.
- Excusez-moi, a dit l'autre, vous n'auriez pas vu un jeune noir qui aime les motos qui ne sont pas vraiment des motos, par hasard ?
- Ce n'est pas moi, ai-je répondu. Et vous, qui êtes-vous ?
- Police ! a-t-il fait en sortant son arme. Personne ne bouge et tout le monde les mains en l'air !
- Pardonnez-moi, a dit Winkel, mais vos deux ordres sont contradictoires !
- Bon, eh bien, a-t-il dit après avoir réfléchi une minute entière, les mains en l'air et ensuite plus personne ne bouge ! Ça vous va comme ça ?
- Au cas où vous l'auriez pas remarqué, a dit Winkel, nous sommes attachés et nous aurions le plus grand mal à répondre favorablement à vos desiderata, même si nous en avions l'intention. Si vous pouviez nous détacher...
- Je ne détacherai personne tant que je ne saurai pas ce qui se passe ici ! il a dit.
Son acolyte s'est approché du dénommé Max, il s'est assis à côté de lui.
- J'ai le même, il a dit le regard luisant.
- C'est l'heure du dodo, a dit Max. Je crois que les bébés ont sommeil.
Ils ont pris leurs Schreck dans les bras et se sont balancés de concert en chantant une berceuse. C'était un spectacle touchant. Nous avons tous commencé à nous assoupir en fredonnant à l'unisson.
- Je l'avais bien dit que tout finirait par des chansons ! a dit Georg. Et à ce moment :
- BON ! ON SE CALME ET CHACUN REPREND SA PLACE ! ON POSE CES FLINGUES ET ON ECOUTE !
- CHUUuuuttt ! Ont dit Max et Marty. Vous allez réveiller les bébés avec vos cris !
- Qui c'est encore que celui-là ? a demandé Winkel.
- Je suis l'auteur et je commence à en avoir par-dessus la tête de vos conneries ! a dit le nouvel arrivant. Alors on se calme et on reprend tout à zéro.
- AH ! NON ! Se sont exclamées sept voix à l'unisson.
- GRRrrr ! Mein Kleinermann !
- GRRrrr ! Mein Kleinermann ! on dit les Schreck qui étaient furieux qu'on réveille leurs bébés. Ça a mis tout le monde d'accord. Et ils étaient en effet tous d'accord pour dire que c'était le bordel dans ce roman et qu'il serait bon d'y mettre un peu d'ordre. De le terminer par exemple. Chacun saisit l'opportunité qui s'offrait à lui pour faire la liste de ses griefs envers l'auteur, mais c'est Baby Max qui a eu le mot de la fin, il est sorti de sa torpeur et il a dit, juste avant de replonger dans le néant de son esprit : vous allez encore épiloguer longtemps comme ça ? Mon Schreck et son bébé ont besoin de dormir maintenant, hein mon Schreck ?
- Le mien aussi, a dit Marty en prenant Baby Max par l'épaule.
Et bien si, épiloguons. Après tout, ce roman a commencé par un prologue, et tout prologue appelle un épilogue.
Et nous sommes très bon pour épiloguer. Nous. L'auteur.