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Ma vie, mon oeuvre, mes rhumatismes

9 août 2014

Chapitre 36

...suite;;;

 

36

 

Au moment où la porte de l'ascenseur se refermait sur nous, j'ai vu entrer dans l'hôtel deux malabars à l'air patibulaire, accompagnés d'une pute. Enfin, je sais pas si c'était une pute, elle avait plutôt l'air d'une chanteuse cabaret sur le retour, mais c'est souvent la même chose. Un frisson m'a parcouru l'échine, sans raison. Mais j'avais d'autres chats à fouetter avec le sergent Bonny entre les pattes et pas la moindre idée de ce que nous allions en faire, sinon le conduire à sa chambre, aussi ai-je chassé cette mauvaise impression. J'ai poussé sur le bouton du rez-de-chaussée où nous nous trouvions et où se situait également la chambre treize et demi. La porte du fond de l'ascenseur s'est ouverte et nous avons trimballé Bonny le long d'un couloir qui distribuait les chambres 0,5 à 14 pour retrouver un juste équilibre arithmétique et équipé de lampes à huile qui diffusaient une lumière jaunâtre et dispensaient dans l'air raréfié une acre fumée qui vous prenait à la gorge.

Par bonheur la porte n'était pas fermée à clé et il a suffit de faire jouer la clenche pour pénétrer dans le home de Bonny.

Comme la nôtre, sa chambre était décorée de piolets, de cordes de rappel, de broches et de pitons. Des photos d'alpinistes en train de dévisser achevaient le tableau et assuraient à l'ensemble une ambiance montagnarde. Les clichés avaient été pris depuis un hélicoptère de la sécurité civile et étaient mis au crédit d'un sauveteur féru de photographie. Le type s'était servi d'un téléobjectif, si bien qu'on pouvait voir sur le visage des hommes en pleine chute, l'effroi qui les gagnaient à mesure qu'ils s'approchaient du sol. Un seul avait un air réjoui : il profitait simplement de sa chute pour s'offrir la sensation de sauter en parachute. Chacun s'arrange comme il peut avec la réalité de sa vie pour chasser de son esprit les moments désagréables.

Nous avons lâché Bonny sur son lit dont le sommier à touché le sol avant de reprendre sa place, non sans avoir accompli plusieurs aller-retour grinçants. Il est resté où le dernier rebond l'avait déposé. Il bandait toujours comme un satyre.

- Le concierge avait raison, ai-je déclaré. Il a besoin d'une douche froide.

- Pauvre homme, on ne peut pas le laisser dans cet état, a dit Cyndy d'une voix pleine de compassion et sans quitter des yeux l'énorme mandrin de Bonny qui pointait vers le plafond comme s'il voulait aller y chercher une mouche, il y a peut-être mieux à faire pour lui...

- Sans doute, mais quoi ? ai-je demandé. Cyndy n'a pas répondu directement à ma question, elle a pris un chemin détourné.

- Ça serait dommage de laisser perdre tout ça... a-t-elle sussuré.

- Tu veux dire que...

- Écoute Jonas, c'est pas comme si je prenais un amant, c'est plutôt comme un godemiché. Tu vas pas être jaloux d'un godemiché ?

- N... non...

- Et puis ça serait une bonne action. J'ai pas tellement eu l'occasion d'en faire dans ma vie.

- Bon, j'ai dit. C'est comme tu veux...

- Tu m'en veux pas ?

- Penses-tu...

- Sûr ?

- Sûr... J'ai passé mon pantalon et mon T-shirt et je suis allé à la porte. Cyndy avait commencé à s'occuper de Bonny, il avait l'air d'apprécier la caresse.

- Tu ne veux pas rester ?

- J'ai envie de prendre l'air, faire un tour...

- Mais on en vient !

- Eh bien j'y retourne, je n'ai pas eu mon comptant.

Je n'étais pas vraiment jaloux, un peu étonné tout de même. Après tout Cyndy et moi ne nous connaissions que depuis peu de temps et je n'y entendais rien aux femmes et de plus nous n'avions prêté aucun serment. Pour moi qui aimait tant ma liberté, je tenais l'occasion de prouver que je tenais autant à celle des autres.

J'ai refermé la porte comme on jette un voile pudique et je suis ressorti par l'ascenseur.

- Je te raconterai ! m'a lancé Cyndy avant que la porte coulissante ne se referme.

J'ai demandé au concierge de m'appeler un taxi, mais il y en avait déjà un qui venait de déposer un client et qui prenait un verre au bar de l'hôtel. Je connaissais le bonhomme. Je crois qu'il s'appelait Gaston.

- Vous êtes libre ? Je lui ai demandé.

- Je finis mon verre et on y va.

- Prenez votre temps, je dois repasser par ma chambre.

Je devais en effet aller chercher un peu de fric, car j'avais une idée en tête. Quelque chose à faire pour Bonny qui était plus de mon ressort.

- Et il va où le Monsieur ? Il m'a demandé quand je suis revenu.

- Conduisez-moi en ville, j'ai besoin d'acheter des habits.

- Je vous dépose devant un magasin ?

- Si ce n'est pas trop vous demander.

Nous avons roulé quelques minutes, le chauffeur n'arrêtait pas de me lorgner dans son rétroviseur.

- Quelque chose ne vas pas ? j'ai dit.

- Non... écoutez, je me mêle peut-être de ce qui me regarde pas, mais... vous n'avez pas croisé deux malabars dans l'hôtel ?

- J'en ai aperçu deux, en effet. Pourquoi ?

- Eh bien... en quelque sorte c'est moi qui les ai amenés... je les ai guidés, ils m'ont payé pour ça. Mais ils m'ont pas payé pour rien dire, alors...

- Alors quoi ? j'ai dit de plus en plus mal à l'aise.

- Eh bien, en papotant, comme ça, y en a un qui m'a dit qu'il cherchait un jeune noir...

- Oui ? Et alors ?

- Et alors, vous êtes jeune et vous êtes noir... J'aime pas beaucoup ces types. Ils cherchent un jeune noir amateur de vieilles motos qui sont pas tout à fait des motos. J'ai rien compris, mais je vous le répète comme il me l'a dit. Vous avez une vieille moto ?

- Non... Ils doivent chercher quelqu'un d'autre. Je ne suis pas le seul jeune noir dans ce pays.

- C'est exactement ce que je lui ai dit ! Enfin, je suis content que ça soye pas vous qu'ils cherchent, parce que je voudrais pas être à sa place. C'est truands et compagnie ! De la racaille !

Nous avons laissé un silence s'installer entre nous. Le chauffeur continuait à m'observer par de brefs coups d'œil dans son rétroviseur. Nous étions perdus chacun dans ses pensées, ses réflexions. Finalement il s'est raclé la gorge.

- Remarquez, il a dit, d'une certaine manière j'aurais préféré que ça soye vous...

- Ah bon ?

- Ouais. Je m'emmerde dans ce boulot, c'est rien de le dire. Un peu d'aventure me ferait pas de mal. J'ai toujours rêvé qu'il m'arrive un truc pas ordinaire, du genre : suivez cette voiture, mais rien, que dalle, alors si vous aviez été ce type, je vous aurais volontiers donné un coup de main pour éliminer ces types.

- C'est gentil, mais c'est pas moi.

- Vous en êtes sûr ?

- Autant que deux et deux. Désolé.

- Parce que, regardez... Il a ouvert sa boite à gant et il en a extrait un flingue. Pas un jouet, pas un de ces petits pistolets de gonzesse. Un putain de calibre ! C'est pour me défendre, il a dit, au cas où. Mais y a jamais eu de cas où, c'est ça le problème.

- Eh ! C'est dangereux votre truc !

- Un peu mon n'veu ! C'est fait pour ça ! Alors, vous êtes sûr de pas être ce nè... ce noir que ces types recherchent ?

- Avec la meilleure volonté du monde, je suis juste un pov' nèg ! ai-je dit.

- Tant pis, il a fait. On est arrivé. Je vous attend ?

- Si c'est un effet de votre bonté.

- Fais tes emplettes tranquillement. Je t'attends mon pote. Et je vais couper mon compteur. Tu m'plais bien.

Je lui ai refilé un gros billet.

- Pour la course et l'attente, j'ai dit. Vous avez besoin de gagner votre vie et j'ai beau être un nègre, je suis honnête.

- Y a pas un blanc qui t'arrive à la cheville, petit, a-t-il déclaré.

Je suis entré dans le magasin, j'ai alpagué un vendeur et je lui ai demandé de me montrer les plus grandes tailles de fringues qu'ils avaient. Il m'a guidé vers un rayon et m'a dit que je trouverais ce que je cherchais. Mais c'était pour les grands maigre comme moi, pas pour les petits gros comme Bonny. Je lui ai expliqué ce que je voulais réellement.

- C'est pour mon grand frère, j'ai dit. Il est malade et il est gros.

- Quelle taille il a fait ?

- Le plus gros possible !

Je suis ressorti avec un jean, une chemise à fleurs et une veste capable de garantir un peu de chaleur pour les soirées qui étaient fraîches. Mon taxi m'attendait. J'avais eu le temps de penser à ce qu'il m'avait proposé. Et aussi à faire des sortes de comptes. Bonny, les deux flics « en vacances », les deux truands, qui encore ? Oui, ce type suspect qui posait des questions indiscrètes sur mes goûts et qui lui prétendait aimer les vieilles motos qui n'ont pas l'air de motos. Ça faisait beaucoup. Un allié ne serait pas de trop. J'ai décidé de me lancer.

- On peut vous faire confiance ? ai-je demandé en reprenant ma place.

- Moi ? Je l'ai pas prouvé ?

- Juste, excusez-moi.

- Donc, je me suis pas trompé, vous êtes bien ce type...

- Ça se pourrait.

- Je peux savoir pourquoi ils vous cherchent ? Vous comprenez, si je m'engage avec vous, faut que je sache où je mets les pieds...

- Bien raisonné. Je leur ai piqué du fric.

      - Ah... beaucoup ?

      - Pas mal. Je dirais un demi million. J'ai pas compté.

      - Pffff !

     - Comme vous dites. Si vous m'aidez, une partie sera pour vous. J'ai hésité à parler de Al et de cet autre type, le mac de Cyndy dont j'avais aussitôt oublié le nom. Je n'avais pas envie de tout dire. Voler du fric à des truands, bon, c'était romantique, mais assassiner sans raison un pauvre type... mon allié pouvait tout aussi bien retourner sa veste, bien que j'en doutasse. Il m'avait l'air assez fiable dans son désir de vivre une aventure généralement hors de portée du commun des mortels.

     - On procède comment ? Il a dit. J'ai apprécié son calme, qu'il ne m'assaille pas de questions. Il Voulait Vivre une Aventure  et s'en remettait totalement à moi. J'avais ma petite idée que je lui ai soumise. Il y a apporté quelques amendements, comme diraient des députés de l'opposition et, comme ils étaient judicieux, je les ai acceptés, contrairement aux élus de la majorité. J'aurais fait un très mauvais homme politique.

       - Votre amie ne va pas vous attendre ? Il m'a demandé.

       - Elle est très occupée, j'ai répondu.

     - Les femmes trouvent toujours à s'occuper, a-t-il assuré doctement.

     - Elle soigne un blessé, l'ai-je informé.

     - Elle est infirmière ?

     - Non, mais elle très douée dans le genre de soins dont il a besoin.

     - Oui, elle m'a paru être une personne bien.

     - On ne peut mieux.

     - Au fait, moi c'est  Terry, ( ouf ! on a longtemps cru qu'il portait le ridicule prénom de Gaston ! ) et toi ?

     - Jonas.

   - Eh bien, Jonas, on va les niquer ! Passe à l'avant. T'es plus un passager maintenant. T'es mon partenaire.

     Ce mec là avait vu trop de films de série B, mais il avait une arme.

    

     Nous nous sommes garés de façon à pouvoir observer l'hôtel et ses environs. Puis Terry, mon chauffeur et complice est allé s'assurer par lui-même que personne de suspect ne traînait dans le coin. C'était le cas, aussi ai-je filé aussi vite que possible jusqu'à ma chambre. Notre chambre. J'ai tourné la clé et poussé la porte. Les deux types que j'avais aperçus plus tôt étaient là. La fille aussi. La chanteuse sur le retour. Ils avaient pris soin de refermer pour ne pas éveiller mes soupçons. A vrai dire, je ne sais pourquoi, je m'y attendais. Je n'ai pas sursauté. Je suis resté très calme. Aucun ne braquait une arme sur moi. Je n'ai pas fait mine de fuir, à quoi bon ? Ils m'auraient rattrapé en quelques secondes, avant que je n'atteigne l'ascenseur et n'en ouvre la porte, pour peu qu'il soit au bon étage. Ou ils m'auraient tiré une balle dans le dos. Ces porte-flingue dégainent plus vite qu'un rayon de soleil ne met de temps à atteindre la terre. Et heureusement sinon ils seraient morts depuis longtemps, celui-ci ayant besoin de huit minutes et trente secondes environ pour parcourir les 150 000 000 de kilomètres qui séparent les deux astres. Mais c'est pour dire.

  Ils étaient assis sur le lit. L'un d'eux jouait avec une figurine représentant Schreck et ne leva pas les yeux sur moi. L'autre sourit simplement. La fille me fit un petit signe amical de la main.

     - Je pense que nous avons à parler, il a dit. A côté de lui reposait mon sac. Les pompes jaunes de Al étaient alignées en évidence à la droite du sac. Et la grille de l'aération où je l'avais glissé quand j'étais retourné chercher du fric était posée contre le mur. Il palpait le sac, le tapotait du plat de la main avec douceur et ce geste était plus inquiétant qu'une menace de mort. Ou pire : de torture.

     Bizarre, je n'avais pas peur. Mon poignard était glissé dans mon pantalon, sur mes reins et je pensais pouvoir être plus rapide que lui s'il faisait mine de porter la main au flingue qui se tenait au chaud sur son cœur, bien serré dans son holster.

     - Assied-toi, il m'a dit en désignant du menton la chaise qu'il avait placée à côté de la porte à cet effet.

   J'obtempérai. S'il voulait parler, c'est qu'il n'avait pas (encore) l'intention de tuer. Il n'en avait de toute évidence pas reçu l'ordre, ce qu'il me confirma bien vite. Ce n'était pas à lui que j'avais piqué le pognon, mais à son patron. J'étais curieux de savoir qui il était. Non, je savais. C'était le curieux de la plage, l'homme affable qui avait tenté de me tirer les vers du nez. Ma main au feu.

     Il a posé la sienne sur les chaussures jaunes : « La dernière fois que j'ai vu ces pompes, il a dit, il y avait un type vivant dedans. Il s'appelait Al. »

     - Possible, j'ai dit.

   - Et la dernière fois que j'ai vu Al vivant, il montait dans une Pontiac flambant neuve avec une mallette dans laquelle il y avait ce fric. Il a tapoté mon sac. Tu pourrais m'expliquer comment il se fait que le tout se retrouve ici, dans ta chambre ?

     - Je ne vois pas de Pontiac, ai-je ironisé.

     - Joue pas trop au malin avec moi.

     - Et il lui est arrivé quoi à votre Al ? Peut-être qu'il a été faire un tour et qu'il va rappliquer. On ne laisse pas de si jolies chaussures et autant de fric dans la chambre d'un inconnu. Surtout s'il est noir...

     - T'y tiens décidément pas à ta peau noire, hein ? Je vais te dire ce que je crois. Je crois que Al a croisé ta route...

     - Possible, on croise tellement de gens avec des mallettes de nos jours...

     - … et je crois que tu es la dernière personne qu'il ait croisée...

     - Comment savoir ? Il faudrait le lui demander.

     - Bon, on arrête de plaisanter. Mon patron va être content de te voir...

     - Oui ? Moi aussi...

     Son sourire s'est élargi. Son visage en était presque avenant.

-                          Si tu le dis... Mais en attendant, j'aimerais bien que tu répondes à quelques questions.

     J'en ai posé une moi-même, ce qui l'a décontenancé.

     - Tu t'appelles comment ?

     - Moi ? Ma... Georg. Toi je sais, tu es Jonas. Nous avons rendu une petite visite à tes parents, Max et moi.

     - Max ? C'est le truc, là ? Vous leur avez fait quoi, à mes parents ?

     - Rien...

     - J'aime autant ça. Ils ne sont pas au courant.

     - Je sais.

     - Comment vous m'avez trouvé ?

     - C'est mon boulot.

     - J'ai pas laissé une trace.

     - Si. Ta bagnole.

     - Un point. Mais ici, à cet hôtel ?

     - Bon. C'est moi qui pose les questions !

     - Certes, mais je n'ai pas de réponses ! Vous avez les pompes de Al, vous avez le fric... moins un tout petit peu, j'ai eu des frais... Qu'est-ce que vous voulez de plus ?

     - J'ai envie de comprendre ! Comment tu savais que Al transportait ce fric ?

     Je cherchais à gagner du temps. Putain, que faisait Terry ? Qu'est-ce qu'il attendait pour intervenir ?

     - Je ne répondrai qu'en présence de... votre patron, ai-je signifié.

    - J'ai les moyens de te faire parler ! Il m'a demandé de ne pas te tuer, mais je peux te faire énormément souffrir.

     - Je n'en doute pas une seconde. Mais souffrir, j'ai fait ça toute ma vie. Tu vas avoir du fil à retordre. Et t'apprendras rien de bien génial.

     C'était surréaliste. Nous tenions cette conversation tranquillement assis, lui sur mon lit et moi sur cette stupide chaise de formica. Et il avait beau me menacer, je n'arrivais pas à le prendre totalement au sérieux. Et puis la porte a claqué contre le mur et Terry a jailli dans la chambre, quasiment à l'horizontale, il a fait un saut périlleux avant et il est retombé, les jambes tellement  écartées qu'il en avait les couilles à ras du sol. OUILLE ! Il a fait. Il pointait son arme à deux mains, visant les pieds d'un type puis de l'autre en gueulant on bouge pas ! on bouge pas ! Puis il s'est arrêté sur mon vis-à-vis qui n'avait pas bronché. Des nerfs d'acier. Ou de carbone, c'est assez solide aussi.

    - Personne ne bouge ! A hurlé de nouveau Terry. Les mains en l'air ! Personne n'a fait mine de les lever. Il transpirait à grosses gouttes et sa main tremblait un peu, mais il tenait ferme son arme. Il s'est redressé avant de chopper un tour de reins ou de se faire une élongation ou un claquage musculaire et il a dit ouf ! Je suis arrivé à temps on dirait ! Il connaissait ses répliques. L'autre type sur le lit a juste levé les yeux un instant et il s'est replongé dans son jeu. Toutes les quelques secondes, Schreck disait : GRRrrr ! Mein Kleinermann ! et ça le faisait rire. Il enlevait et lui remettait son espèce de bandeau et ça recommençait. GRRrrr ! Mein Kleinermann !

      - Georg, c'est qui ? il a demandé.

     - T'occupe, Max, a dit le dénommé Georg. Joue. Puis, à l'adresse de Terry. Bon. Vous voyez les choses comment ? Terry a été surpris par la question. Il m'a regardé, interrogé du regard. A mon avis, il était encore un peu jeune en tant qu'aventurier. Il manquait d'expérience. Indiana Jones à sa place se serait fendu d'une réplique cinglante et pleine d'un humour distancié, du genre : avec mon œil, celui avec lequel je vous ai, mais Terry n'avait pas une équipe de scénaristes à sa disposition.

     - Eh bien oui, a dit le dénommé Georg, c'est vous qui tenez l'arme, alors montrez-vous à la hauteur ou faut-il que je vous dise quoi faire ?

  - Si on allait voir ton patron, ai-je suggéré. Entre personnes intelligentes il y a toujours moyen de s'entendre. Au fait, comment tu as dit qu'il s'appelait ?

     - Winkel. Mais je n'ai rien dit. Et je ne pense pas que vous pourrez vous entendre. A ta place, tu sais ce que je ferais ? Je profiterais de mon avantage pour filer. Je laisserais le fric et je filerais le plus vite et le plus loin possible, en espérant qu'il en restera là. Si tu veux, j'essaierai de le convaincre que tu n'en vaux pas la peine.

     - Oui, mais tu n'es pas à ma place et je crois que je vais suivre ton conseil, je vais filer le plus loin possible, mais avec le fric. Je l'ai bien mérité. Et j'en ai plus besoin que ton Winkel.

     - On te retrouvera de nouveau. Tu peux en être sûr. Winkel ne lâche jamais. Et moi non plus.

     - Et si je te tuais ?

     - Tu me tueras pas. C'est pas facile de tuer un homme.

     - J'en ai déjà tué deux et ça ne m'a pas posé le moindre problème.

     - Deux ?

     - Oui, deux. Ne fais pas cette tête, tu ne connais pas le deuxième et il n'a rien à voir dans notre histoire.

     - Ouais... je te crois, il a dit après m'avoir observé un moment, mais moi, tu me tueras pas, parce qu'on a parlé ensemble. Non, je ne pense pas que tu me tueras. Mais moi si. Si j'en ai l'ordre et que je te retrouve. Et je te retrouverai. Tu veux que je te dise le fond de ma pensée ? Tu penses que je suis juste un tueur à gage, un esclave qui exécute des ordres sans se poser de question. Et tu crois que de nous deux c'est toi qui es libre. Tu te fourres le doigt dans l'œil. J'exécute des ordres, certes, mais j'ai choisi de le faire. Tant que c'est mon intérêt. Mais toi ? Tu vas passer le reste de tes jours la peur au ventre. Ton ombre te fera trembler. Tu ne profiteras pas une seconde de ta fameuse liberté. Et un jour, n'importe quand, n'importe où, alors que tu auras relâché ta vigilance : pan !

     - C'est possible. Je suis prêt à courir le risque.

     - T'as une petite copine, non ? Tu es prêt à lui faire courir le risque à elle aussi ? Tu sais que quand on vous aura retrouvés, on l'éliminera elle aussi. Tu sais ça ? C'est ce que tu lui souhaites ? Tu lui as posé la question ?

     - Oui. Elle sait tout. Et elle est encore plus que moi déterminée. Tu connais les femmes, quand elles ont une idée en tête... Allons, conduis-moi à ton patron.

     J'étais heureux, soulagé que Cyndy soit restée avec Bonny. Je ne sais pas comment elle aurait réagi si les deux tueurs nous avaient trouvés ensemble.

     - Bon, a dit Terry, on fait quoi, je commence à avoir des crampes, là...

    Je ne lui ai pas répondu, je me suis adressé à Georg : «  Tu sais comment on fait des pompes, Georg ? »

     - Oui, pourquoi ?

     - En position ! jambes et bras écartés. Allez !

     Il s'est mis en position, j'ai demandé à Terry de le tenir en joue, le canon sur la tempe, mais il a préféré poursuivre avec le pied, et je l'ai fouillé minutieusement. J'ai trouvé assez d'armes sur lui pour équiper une escouade : pistolet, minuscule révolver scotché à la jambe, poignard, poing américain, arc et flèches, gants de boxe, batte de base-ball, grenades à manche, sabre laser, porte-avions, bon, j'exagère, mais à peine. La seule chose qui manquait à sa panoplie était une bombe thermonucléaire. Puis j'ai désarmé le dénommé Max qui s'est laissé faire avec docilité. Son arsenal était encore plus impressionnant avec le sous-marin de poche et les missiles longue portée. Je me suis demandé un instant si leurs vêtements n'étaient pas confectionnés dans une matière explosive, mais je n'avais pas les moyens techniques de vérifier, aussi leur ai-je donné l'ordre de nous précéder. Je n'ai pas fouillé la fille tant il est rare que les chanteuses sur le retour soient armées. Nous sommes entrés dans l'ascenseur et en sommes ressortis, - le bâtiment ne comportait qu'un rez-de-chaussée - nous avons fait demi-tour, sommes passés devant ma chambre et une minute plus tard j'avais le fameux Winkel à ma merci. Il a tout de suite jugé de la situation. Il est vrai qu'en temps normal mon complice et moi-même aurions dû ouvrir la marche et Max ou Georg nous suivre, une arme pointée sur nos nuques.

    - Tu me déçois Max, il a dit à Georg. Te faire avoir comme un bleu, toi !

     - J'ai toujours su que ça arriverait et que ce serait à cause d'un cave. Ces mecs sont imprévisibles. Mais, si vous permettez patron, moi c'est Georg.

    - Je sais, mais j'arrive pas à m'y faire. En attendant, je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas tenté quelque chose.

     - Il menaçait mon pied avec son arme, patron.

     - Et alors ?

     - Alors ? Je suis sûr que ce type ne sait pas se servir de son arme. Il est capable de m'atteindre au cœur en voulant me tirer dans le pied, alors je vous accorde que je peux vivre avec une balle dans le pied, mais je doute que ce soit possible si elle est dans le cœur.

   Je ne comprenais rien à leur échange. et je ne voulais pas me laisser distraire. Aussi ai-je trouvé plus prudent de ne pas avoir à surveiller trois hommes et une femme, j'ai donc décroché du mur une corde de rappel et lié les mains des deux tueurs, puis je les ai noués ensemble, dos à dos et j'ai attaché le paquet ainsi formé au montant du lit. J'en ai fait autant avec Winkel et sa femme qui étaient tous deux en petite tenue et que je n'ai donc pas eu à fouiller. Dommage. Merde, la femme de cette mocheté était un canon ! Un de ses seins jaillissait de son corsage, on aurait dit le mont Fuji Yama. Elle avait l'air de s'en foutre. Je veux dire d'être attachée.  Peut-être même que ça l'amusait. Elle s'est permis une réflexion désobligeante à son égard, quelque chose comme tu vois, malgré tout ton pognon où tu en es aujourd'hui !

     - Ta gueule il lui a dit. Elle s'est mise à rire et Winkel s'est mis en rogne.

     - Tu trouves la situation tellement amusante ? !

     - Je pensais simplement qu'on n'a jamais été liés d'aussi près, toi et moi !

     - Ça va ? Je n'ai pas serré trop fort ? Je lui ai demandé.

     - Tu es qui ? m'a demandé Winkel. Pas ton nom. Tu es qui, tu es quoi dans cette affaire ?

     - Moi ? Personne. Vous pouvez m'appeler John Doe, M'sieur.

     - C'est toi qui a mon fric ?

     - Le seul fric que j'ai c'est le mien. Je l'ai gagné.

     - Qui t'a envoyé ? C'est ce fumier de...

     - Personne m'a envoyé. C'est le hasard.

     - Tu as tué Al par hasard ?

   - Parfaitement. Il s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et pour moi ça a été le contraire. Un coup de chance. Le premier et le seul de toute ma putain d'existence.

     - Qu'est-ce que tu veux faire maintenant ? Nous tuer ?

     - Si je voulais vous tuer vous seriez déjà morts.

     - Juste. Alors ?

     -  Je veux négocier.

   - Je ne négocie jamais avec un type qui m'a volé. Comment tu savais que Al avait ce pognon ?

       - Je ne le savais pas avant de le tuer.

       - Alors pourquoi tu l'as fais ?

       - Je ne sais pas. Une envie.

       - Une envie ? ? ? !

     - Ouais. J'avais envie de sa bagnole et si je la lui avais demandée poliment, je ne crois pas qu'il me l'aurait offerte. Ensuite j'ai vu cette mallette et quand je l'ai ouverte, eh bien vous savez ce que j'y ai trouvé.

     - Ouais. Mon fric. Mais si tu veux le garder assez longtemps pour en profiter, tu vas être obligé de tous nous tuer, moi, Max, Georg et ma femme. Tu te sens de tuer une femme, petit ?

     - Personne ne va tuer personne.

     A ce moment la porte s'est ouverte et Cyndy est entrée, flanquée de Bonny qui souriait aux anges. Il bandait toujours.

     - Merde, elle a dit, j'y renonce, personne ne pourrait en arriver au bout. Puis elle a semblé découvrir la scène. Tu t'es fait des amis ? elle a demandé. Tu me les présentes !

   - Écoute, Cyndy, j'ai dit, c'est pas vraiment le moment, nous sommes occupés. Tu voudrais pas aller jusqu'au taxi qui se trouve devant l'hôtel et ramener les paquets qui s'y trouvent. C'est des habits pour le sergent Bonny.

     - Tu es trognon ! Elle a fait. Tu penses à tout. Mais je voudrais bien participer, merde, vous allez pas vous amuser sans moi ! Moi aussi j'ai envie qu'on m'attache !

     Elle s'est approchée de Winkel, lui a soulevé le menton : tu sais que tu es pas mal, toi ! a-t-elle déclaré. T'as un côté un peu macho qui me plaît bien.

     - Cyndy ! ai-je supplié, va chercher ces fringues. S'il-te-plaît.

     - O.K. mais vous promettez de m'attendre !

     - Juré, a dit Georg. On bouge pas. Sympathique ta gonzesse, il m'a dit une fois qu'elle a eu refermé la porte. Avenante.

     - Ouais, mais c'est pas du tabac pour ta pipe, j'ai dit.

     - Mauvais, a-t-il déclaré.

     - Quoi ? Qu'est-ce qui est mauvais ?

     - Tu as quelque chose à perdre. Tu es foutu.

    J'ai pris le pistolet des mains de Terry et je le lui ai collé sur le front.

    - Tu as beaucoup plus à perdre que moi si tu continues dans ce sens, petit, lui -ai-je dit.

     Il me fixait, son regard ne cillait ni ne baissait.

     - Vas-y, appuie. Tire, qu'est-ce que tu attends ?

     J'allais le faire, je le jure, j'étais près à le faire. Je l'aurais fait si à ce moment la porte ne s'était ouverte. Cyndy, j'ai pensé. Mais c'était une inconnue. Moulée dans une mini-robe en jersey qui ne cachait rien de ses formes généreuses et montée sur des talons aiguilles dans lesquels glissaient des bas résilles qui mettaient en valeur, s'il en était besoin, ses jambes aux courbes et proportions parfaites. Elle a dit oh excusez-moi, puis elle a vu Bonny et elle a couru vers lui.

     - Chéri ! s'est elle écrié. Mon amour ! Où étais-tu passé ? Je t'ai cherché partout ! Elle l'a enlacé, embrassé, lui a pétri le sexe et s'est laissée tomber à genoux, je ne sais trop pourquoi.

     - Qui êtes-vous ? lui ai-je demandé.

     - Vous êtes qui ? lui a demandé Winkel.

     - Qui c'est cette gonzesse ? a demandé Georg.

     - C'est quoi ton petit nom ? lui a sussuré la femme de Winkel.

     - Grommmph ! A fait Max.

     - GRRrrr ! Mein Kleinermann ! A grogné Schreck.

     - Touche pas à mon Bonny pétasse ! a hurlé Cyndy qui revenait sur ces entrefaites. Ni une ni deux, elle a sauté sur la fille pour lui crêper le chignon.

     - Cyndy, j'ai dit, s'il-te-plaît, du calme.

     Elle a avisé l'érection de Bonny et a baissé les bras.

     - Oh, après tout, a-t-elle décidé, il y en a bien pour deux.

     - Et moi alors ? s'est plainte la femme de Winkel.

     - Et moi alors aussi ? a surenchéri Charlène.

     - Vos gueules salopes, a dit Winkel.

     - Paf ! a fait ma main sur sa figure. Enfin, on ne parle pas comme ça à une femme ! Même à la sienne.

     - Bien fait ! a ricané Georg.

     - Viré ! a éructé Winkel.

     - Tant mieux ! a grincé Georg. J'en ai assez de cette histoire. Vous me ferez mon compte.

     - Je vais te le régler, oui !

     - Ah oui ! Tu comptes faire ça avec tes petites mains, connard ?

     - Attend seulement que je sois détaché !

C'est pas demain la veille, j'ai dit, si je puis me permettre de me glisser dans votre conversation.

     On a frappé à la porte, discrètement.

     - Bordel ! a dit Winkel, on sera donc jamais tranquille ?

     - Entrez, j'ai fait.

     La porte s'est ouverte avec une sorte de timidité. Deux types sont entrés, l'un d'eux avait une figurine de Schreck entre les mains.

     - Excusez-moi, a dit l'autre, vous n'auriez pas vu un jeune noir qui aime les motos qui ne sont pas vraiment des motos, par hasard ?

     - Ce n'est pas moi, ai-je répondu. Et vous, qui êtes-vous ?

    - Police ! a-t-il fait en sortant son arme. Personne ne bouge et tout le monde les mains en l'air !

  - Pardonnez-moi, a dit Winkel, mais vos deux ordres sont contradictoires !

     - Bon, eh bien, a-t-il dit après avoir réfléchi une minute entière, les mains en l'air et ensuite plus personne ne bouge ! Ça vous va comme ça ?

     - Au cas où vous l'auriez pas remarqué, a dit Winkel, nous sommes attachés et nous aurions le plus grand mal à répondre favorablement à vos desiderata, même si nous en avions l'intention. Si vous pouviez nous détacher...

     - Je ne détacherai personne tant que je ne saurai pas ce qui se passe ici ! il a dit.

     Son acolyte s'est approché du dénommé Max, il s'est assis à côté de lui.

  - J'ai le même, il a dit le regard luisant.

  - C'est l'heure du dodo, a dit Max. Je crois que les bébés ont sommeil.

     Ils ont pris leurs Schreck dans les bras et se sont balancés de concert en chantant une berceuse. C'était un spectacle touchant. Nous avons tous commencé à nous assoupir en fredonnant à l'unisson.

     - Je l'avais bien dit que tout finirait par des chansons ! a dit Georg. Et à ce moment :

     - BON ! ON SE CALME ET CHACUN REPREND SA PLACE ! ON POSE CES FLINGUES ET ON ECOUTE !

     - CHUUuuuttt ! Ont dit Max et Marty. Vous allez réveiller les bébés avec vos cris !

     - Qui c'est encore que celui-là ? a demandé Winkel.

     - Je suis l'auteur et je commence à en avoir par-dessus la tête de vos conneries ! a dit le nouvel arrivant. Alors on se calme et on reprend tout à zéro.

     - AH ! NON ! Se sont exclamées sept voix à l'unisson.

     - GRRrrr ! Mein Kleinermann !

   - GRRrrr ! Mein Kleinermann ! on dit les Schreck qui étaient furieux qu'on réveille leurs bébés. Ça a mis tout le monde d'accord. Et ils étaient en effet tous d'accord pour dire que c'était le bordel dans ce roman et qu'il serait bon d'y mettre un peu d'ordre. De le terminer par exemple. Chacun saisit l'opportunité qui s'offrait à lui pour faire la liste de ses griefs envers l'auteur, mais c'est Baby Max qui a eu le mot de la fin, il est sorti de sa torpeur et il a dit, juste avant de replonger dans le néant de son esprit : vous allez encore épiloguer longtemps comme ça ? Mon Schreck et son bébé ont besoin de dormir maintenant, hein mon Schreck ?

     - Le mien aussi, a dit Marty en prenant Baby Max par l'épaule.

     Et bien si, épiloguons. Après tout, ce roman a commencé par un prologue, et tout prologue appelle un épilogue.

     Et  nous sommes très bon pour épiloguer. Nous. L'auteur.

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8 août 2014

Chapitre 35

...suite...

 

35

 

Quand ils en eurent terminé avec leur partie de jambes en l'air, Winkel et Lory restèrent allongés à fumer une cigarette. Ils en avaient d'autres, mais ils aimaient à partager celle-ci.

A présent qu'il était détendu, l'esprit de Winkel se remettait à tourner malgré lui. Et si ce noir  était finalement bien mon nègre, se disait-il, vous voyez, ce genre de choses qui vous passent par la tête quand vous n'avez plus de pression à l'intérieur du crane et que les idées y circulent à l'aise. Et si Lory me quittait un jour ? Et si j'avais joué le 10 au lieu de 23, et si ma tante en avait... tout se bousculait quand même un peu, mais la question de savoir si ce nègre était bien son noir revenait sans cesse bousculer les autres. Faut que j'en ai le cœur net, se dit-il. Il décrocha son portable et appela Baby Max. Georg répondit et il lui donna l'ordre de rappliquer dare-dare. Les deux sbires sauraient faire parler le type, ils connaissaient eux aussi des méthodes, mais Winkel, répugnait désormais à se salir les mains et après tout il les payait pour ça. Qu'il garde les mains propres.

*

Georg secoua Baby Max, lui arracha son jouet des mains et lui promit de le lui rendre quand ils seraient en route, sinon, il n'aurait jamais réussi à le sortir du lit où il était vautré. La carotte et le bâton, voilà comment on devait traiter l'être humain, c'était une formule qui faisait ses preuves depuis 300 000 ans.

Winkel lui avait indiqué comment sortir de la ville et quelle route prendre ensuite, mais Georg, s'il avait un bon sens de l'orientation, ne faisait pas confiance aux urbanistes. Vous pouviez vous retrouver à tourner sans fin entre les sens uniques et les sens interdits et perdre un temps précieux, aussi arrêta-t-il un taxi en maraude.

- Et il va où le Monsieur ? s'enquit poliment le chauffeur (qui s'appelait encore Gaston) tout de même un peu étonné qu'un homme qui possède une voiture ait besoin d'un taxi, mais il en avait vu de si vertes et de tellement pas mûres que plus rien ne pouvait lui en toucher une et faire remuer l'autre.

- Ecoutez, dit Georg, je suis un peu paumé, si je vous paye la course, vous voulez bien me guider jusqu'à...

- Un hôtel qui s'appelle le restaurant des Alpes ? c'est bien ça ?

- Vous alors ! Vous avez des dons de devin ! Vous sauriez pas me dire, par hasard, où je pourrais dégotter un jeune noir qui roule avec une vieille moto qui n'est pas tout à fait une moto ? Ajouta Georg pour plaisanter.

- Je peux vous dire où trouver un jeune noir et une pute, mais je sais pas s'il a une moto qui n'est pas tout à fait une moto. Ça non, ma science ne s'étend pas jusque là.

- Pas besoin de pute, dit Georg. On en a une avec nous. Ce qui n'était pas gentil pour Charlène.

- Oui, je comprends bien, mais le jeune noir dont je vous parle, il est avec une pute, et vous pourrez pas trouver l'un sans tomber sur l'autre.

- Oui, dit Georg, je suis sûr que vous pouvez me trouver un jeune noir. Il y en a combien dans cette ville ?

- Trop selon certains... Moi je suis taxi, alors noir ou jaune, je prends tout pourvu qu'on me paye ma course et qu'on m'assassine pas. Je fais pas de politique, fit-il comme si ça avait le moindre rapport. Vous comprenez, Monsieur, si tout le monde les chasse et si personne n'en veut sur cette terre, on les mettra où ? A ma connaissance, les voyages interplanétaires de masse c'est pas pour demain ! Bon, vous me suivez ?

- Je vous paye d'avance, dit Georg.

- J'allais vous le demander. Vous aussi vous avez des dons de voyance.

*

Quand Georg entra dans le hall de l'hôtel, suivi, comme son ombre ou plutôt, puisque le soleil ne pénétrait pas jusque là, comme un petit chien qui réclame son os, par Baby Max à qui, en dépit de sa promesse il n'avait pas rendu son jouet, il eut la vision fugitive d'un couple composé d'un noir et  de deux fois la valeur du premier, c'est à dire une blanche en terme musical, sur lesquels se refermait la porte de l'ascenseur et qui semblaient peiner à porter un énorme paquet, une sorte de mannequin boudiné à la robe collée au corps et maculée de sable. Ah ! Vraiment, il n'y avait pas de pays où l'on en voyait tant que sur cette pauvre terre, pensa-t-il en pastichant Julos Beaucarne. Mais le taxi avait raison, il y avait bel et bien un nègre dans cet hôtel. Il lui avait glissé l'information au moment où il empochait le prix de la course plus un petit quelque chose qui en doublait ce prix. Et la fille avec lui, ça devait être la pute. Aucune chance que ce soit « son » nègre ». C'était juste un nègre comme il y en avait tant. Trop prétendaient certains. Georg n'était pas de ceux-là. Les seuls nègres qui étaient de trop étaient ceux qu'il avait à éliminer lorsque c'était son boulot. Et ils ne le restaient jamais bien longtemps après qu'il eût reçu ses ordres. Il demanda la chambre de Winkel et ils prirent à leur tour l'ascenseur.

7 août 2014

Chapitre 34

...suite...

 

34

 

Ce qui restait de Bonny se tenait debout devant la fenêtre de la chambre où il s'était  laissé conduire aussi docilement qu'un bébé. Il contemplait l'océan. Disons qu'un observateur aurait pensé qu'il contemplait l'immensité liquide aux mystères insondables qui s'apparentait par ces deux propriétés au le cerveau du sergent, et parmi ces mystères, il en est un dont nous devons rendre compte ici : le sergent Bonny, ce qui demeurait de lui au plus profond de ses fosses marines et s'y tapissait jusqu'alors sans donner le moindre signe de vie sinon végétative, se mit tout à coup à vibrer. Et de cette vibration naquit une sensation qui se mua bientôt en quelque chose de l'ordre du désir. Ce désir, moteur absolu du vivant, lui fit tendre le bras, se servir de cette merveille mécanique qu'est la main humaine pour tourner la poignée de la fenêtre puis, l'enjamber et... basculer dans le vide.

Par bonheur pour ce qui restait du sergent Bonny, nous étions au rez-de-chaussée et Bonny ne fit que se fouler une cheville et se meurtrir un coude. Sa tête amortit bien le choc certes, mais comme il n'y avait de ce côté-ci plus grand-chose à détraquer, le dommage fut minime.

De toute façon, personne ne l'avait vu tomber, alors. Bref, une fois debout, Bonny se dirigea comme un somnambule boiteux au coude en sang (et non pas au coup d'encens) vers la grève où la mer, monotone, lancinante, répétitive il faut le dire, sans arrêt roulait son sable à défaut de galets, spectacle qui à la longue vous saoulait quelque peu, ce qui est une propriété très peu connue de l'eau.

Bonny n'avait en tête qu'une idée, (une seconde était apparue mais la première avait dit une de nous deux est de trop dans ce cerveau et elle l'avait chassée à grands coups de mépris) mais elle était fixe, elle au moins. On aurait pu la regarder des heures sans attraper le tournis.

Comme il traversait la plage il croisa Winkel qui n'en crut pas ses yeux. Il y avait tout de même de drôles de types sur terre et celui-ci portait une curieuse tenue de bain ! Sans parler de cet infâme bandeau qui commençait à se détacher et pendait lamentablement sur ses oreilles. Encore un peu et il lui ferait un collier de la dernière élégance !

Bonny lui, ne le remarqua même pas. Il avançait du pas serein du pèlerin boiteux approchant de la grotte de Lourdes et qui se demande à qui il va bien pouvoir refourguer ses béquilles et à quel prix.

Il fonça droit sur Jonas et Lory, les dépassa et s'avança résolument dans l'eau. Au bout de quelques pas sa chemise de nuit se mit à flotter au tour de sa taille. A cause de son blanc laiteux, on aurait dit qu'il s'était confectionné une robe avec une méduse géante. Quelques pas plus loin il disparaissait tout à fait, sa présence étant marquée seulement par la méduse qui s'était transformée en œillet en se rabattant au-dessus de sa tête.

Jonas ne fit ni une ni deux, et pas davantage trois, c'eût sans doute été trop tard. Il fonça. Un instant plus tard il ramenait le sergent Bonny sur terre, l'allongeait sur le dos et entreprenait de le vider des litres d'eau salée qu'il avait avalé. Jonas n'avait pas suivi de cours de secourisme, mais il pensait que si l'on se servait du bras comme du manche d'une pompe telle qu'il y en avait une dans la cour de la ferme familiale, et qu'il appuyait assez fort sur le ventre, l'eau finirait par jaillir par la bouche. Donc, il se mit debout sur la bedaine de Bonny et demanda à Lory de pomper, ce qu'elle fit avec plaisir. Tire et pousse, ceci cela, finalement, après seulement quelques dizaines de secondes d'effort, Bonny se mit à hoqueter, tousser, cracher puis il se vida. La mer retrouva son niveau.

Jonas regarda plus attentivement l'homme qui s'asseyait sur son cul pour cracher ses derniers litres d'eau. Un bandeau fait d'une bande de vieille peau, à moins que ce ne fût une bande Velpeau, difficile à définir dans l'état où elle se trouvait, masquait en partie son visage, mais ce visage ne lui était pas inconnu, il en aurait juré. Il le dégagea et le posa dans le sable. L'homme avait le crane rasé et orné de très belles cicatrices récentes qui purulaient légèrement, à moins qu'elles ne suppurassent, bien que l'eau salée les eût en partie nettoyées. En tout état de cause, elles pullulaient.

Il l'observa avec une attention redoublée, oui, c'était bien cela, cette face d'abruti, ce regard qui, lorsque vous y plongiez les yeux faisait songer avec horreur au néant le plus absolu, ce sourire niais exprimant la satisfaction du cochon qui vient de se rouler dans sa bauge, ce ne pouvait qu'être le sergent Bonny !

Le sergent Bonny ? ? ? ! Qu'est-ce que le sergent Bonny faisait ici et dans cet appareil ? Nous sommes hélas au regret de constater que Jonas, qui a lu des milliers de livres, n'a pas pris la peine d'ouvrir celui-ci, sinon, il n'aurait même pas eu à se poser la question. Misère ! Dans quel monde vivons-nous ? Par bonheur, l'auteur n'est pas homme à se vexer pour si peu, aussi va-t-il poursuivre ce récit.

- Bonny ? Interrogea Jonas. Vous êtes bien le sergent Bonny ?

- ny... répondit Bonny.

- Mais qu'est-ce que...?

- queue... répondit Bonny. A ce moment, Cyndy intervint :

« Tu vois bien que ce pauvre homme n'a plus toute sa raison ! » dit-elle.

- Si c'est bien celui à qui je pense, il n'en a jamais eu la moindre ! Répliqua Jonas, inquiet. Si Bonny avait retrouvé sa trace, alors d'autres le feraient aussi. Il devait s'attendre à les voir débarquer sous peu.

- Allez, aide-moi, dit Cyndy, nous ne pouvons pas le laisser dans un tel état. Et, montrant l'exemple, elle passa un bras de Bonny autour de son épaule. Que pouvait faire Jonas sinon se saisir de l'autre bras. « Tu connais cet homme ? » ajouta-t-elle.

     - Sûr, c'est le flic de Wannacut et j'ai beau réfléchir, je n'arrive pas à comprendre comment il m'a retrouvé. Surtout dans cet état...

     - Attend, dit Cyndy, il y a quelque chose qui ne va pas. Rappelle-toi, au chapitre dit 20, Bonny se débarrasse de son bandeau. Or, on vient de voir qu'il en avait un.

     - Merde, encore un coup de l'auteur qui ne sait plus ce qu'il écrit. Tant pis. Poursuivons...

Affermissant leur prise, il trainèrent Bonny jusqu'à l'hôtel et ce n'était pas une mince affaire, ce cochon était lourd comme un porc et aussi habile à mettre un pied devant l'autre qu'un unijambiste. Sa chemise de nuit collait à son corps gras et velu et l'empêtrait si bien dans ses maladroites tentatives d'aider ses protecteurs qu'ils eussent préféré qu'à tout prendre il se laissât porter. D'autant plus qu'elle emportait avec elle la moitié de la plage, le sable dégringolant par plaques du tissu détrempé au hasard des cahots que la démarche du trio imprimait à leur pour le moins curieux équipage.

Il le secouèrent dans l'entrée, abandonnant sur le pas de la porte de quoi bâtir un beau château de sable. Dommage qu'il n'y eût pas d'enfant pour en profiter. Puis ils l'abandonnèrent sur un sofa où il s'affaissa, les bras ballants jusqu'au sol, la tête pendant sur sa poitrine.

 - Jonas tapa du poing sur la sonnette et bientôt apparut le concierge, qui faisait également office de patron de l'hôtel. Il ne put s'empêcher de remarquer qu'il allait devoir remplacer le sofa, dès que la chose qui y était déposée en aurait été retirée.

- C'est à vous, ça ? demanda-t-il poliment, avec cependant un air de dégoût sur le visage.

- Nous espérions justement, ma compagne et moi-même, que vous alliez pouvoir nous renseigner à son sujet. Nous l'avons trouvé au fond de l'eau...

- A votre place nous l'y aurions laissé, déclara placidement le patron qui faisait également office de concierge à ses moments perdus, et ils étaient nombreux, au point qu'il se demandait parfois s'il était bien rentable de payer un employé pour faire son boulot à sa place. Mais laissons là les états d'âme de ce négrier et consacrons la suite de ce chapitre à des considérations et aventures plus excitantes.

- Il se serait noyé ! intervint Cyndy.

- Ah ! Parce que c'est vivant ?

- Je me le suis souvent demandé, mais grâce à nous, oui, fit Jonas. J'imagine que ce monsieur a prit une chambre, pourrions-nous savoir laquelle afin que nous l'y conduisissions de ce pas, précisa-t-il sans être tout à fait certain du bon emploi du verbe conduire.

- Attendez voir, fit le concierge en sortant de derrière son comptoir et en s'approchant avec circonspection de la chose en question. Il lui releva le menton, le laissa lourdement retomber. « Oui, fit-il, si l'on y met un bandeau, ça pourrait bien être lui...

- Qui ça, lui ? demanda Cyndy.

- Ce type qu'un taxi a...  - Il hésita a dire déféquer – déposé hier soir.

- Il a donc bien prit une chambre ! dit Jonas.

- Une seconde, je consulte mon patron... Il s'interrogea puis la réponse fusa : Non, ce monsieur n'a jamais réservé de chambre.

- Ah bon ? Je croyais pourtant...

- Quelqu'un l'a réservée à sa place et nous l'a envoyé. C'est la treize et demi. Oui, c'est à cause des personnes superstitieuses, on l'appelle comme ça.

 - Qui a réservé pour lui ? demanda Jonas de plus en plus intrigué. Ses chefs ?

- Ses chefs ? Répéta le concierge. ( Il passait en effet d'un état à un autre selon l'humeur et la réponse ou l'information à donner ) Chefs de quoi ?

- Ben de la police !

- La police !

- Ben oui, la police, dit Jonas quelque peu agacé que le type répète systématiquement tout ce qu'il disait. Ce monsieur est policier. Personne ne pourrait le croire, même quand il est dans son état normal, mais c'est pourtant le cas. Et un cas c'en est un, vous pouvez me faire confiance.

- Personne n'en doute... Qu'est-ce que vous comptez en faire ? Appeler ses chefs ? Ou alors vous pourriez vous adresser aux deux autres policiers qui sont descendus dans l'établissement.

- Il y a ici des policiers ?

- En vacances, oui. Enfin, quand je dis deux, ce serait plutôt un et demi, à peine... Il se pencha vers l'oreille de Jonas, Cyndy tendit la sienne. Oui, il y en a un des deux qui joue sans cesse avec une espèce de... petite figurine en plastique qui représente Schreck, vous savez qui est Schreck ?, et moi je dis qu'il a pas l'air plus malin que votre... comment s'appelle cette chose ?

- Lui, vous voulez dire ? Bonny. Sergent Bonny.

- Que votre Bonny. Sergent Bonny. A ce propos, vous pensez en faire quoi ?

- Ben le ramener dans sa chambre et aviser. Faut lui faire un brin de toilette.

- Une douche froide, c'est ça qu'il lui faut.

- Pourquoi froide.

Le patron fit à Jonas le geste d'approcher, il se pencha derechef vers son visage, Cyndy approcha derechef le sien, il prit un air de conspirateur et souffla, je voudrais pas dire mais... il bande.

Cyndy et Jonas se retournèrent comme un seul homme et une seule femme et purent constater en effet qu'une bosse assez conséquente s'était formée entre les cuisses mastocs de Bonny et qu'il observait la chose avec beaucoup d'attention sinon de l'intérêt.

- Vous comprenez, si des clients arrivent, ça la foutra mal, dit le concierge, aussi, si c'était un effet de votre bonté que de m'en débarrasser, je vous en serais reconnaissant, ajouta le patron. Et vite. J'en vois justement deux qui arrivent. C'est des nouveaux, dit le concierge, faudrait pas les faire fuir, mon patron ne me le pardonnerait pas, déjà qu'il est à deux doigts de me donner mon congé...

Jonas et Cyndy ne se firent pas prier davantage, ils reprirent leur paquet et le hissèrent sur ses jambes. Bonny souriait béatement. Il fit un effort qui semblait requérir toute son énergie, les yeux plantés dans ceux de Cyndy, ouvrit la bouche à plusieurs reprises comme un poisson sorti de l'eau, ahanant et bavant comme un bouledogue qui a vu un teckel, puis il laissa échapper deux syllabes : « Hil... trud... »

5 août 2014

Chapitre 33...

...suite...

 

 

33

 

Plutôt que se présenter à la réception ou partir à la recherche de Lory, Winkel s'engagea sur le sable où, l'air de rien, c'est à dire d'un touriste lambda venant humer l'air marin et admirer le décor d'un océan plat comme les plaines de la Beauce ou les steppes de Sibérie avec en tête des idées ayant autant de relief que ces deux (im)mortels paysages, il s'approcha, tel le crabe amoureux mais timide, du couple formé par Jonas et Cyndy, les salua d'un signe de tête, sans donner l'impression de vouloir engager la conversation, un simple geste de politesse entre résidents d'un même hôtel, ainsi que cela se pratique quand on a appris la politesse à coups de taloches lorsqu'on était gosse et qu'on a retenu la leçon.

Puis il ramassa un bout de bois lui-même poli par des années de va-et-vient et de roulis-roulis, prit son élan et le lança vers les flots de toute la force de son bras qui n'en n'avait pas peu. Le vent venant du large s'en empara comme d'un fétu, le ralentit si bien dans sa course qu'il peina à atteindre les premières vagues pourtant distantes d'une vingtaine de mètres au plus. Il se mit à gigoter d'avant en arrière, à bondir sur place, à se retourner maintes et maintes fois, plonger et ressortir, comme un indécis ou un trouillard hésitant à partir à l'assaut sous la mitraille de l'ennemi armé jusqu'aux dents de canons longue portée et de toutes sortes d'objets plus ou moins contondants mais mortels pour qui n'est pas doué du talent de passer entre les projectiles de tous calibres et de toutes formes.

Ce petit exercice n'était pour Winkel qu'un moyen d'entrer discrètement en contact avec le couple. Il haussa les épaules, profitant de ce mouvement pour faire passer inaperçu la légère torsion du buste qui l'amena à croiser leurs regards. Il sourit, du sourire un peu gêné de celui qui vient de se livrer en public à une gaminerie alors qu'il croyait être seul.

- Eh oui, dit-il, on est toujours rattrapé par son enfance... C'est quelque chose qui ne vous lâche pas...

Ne voulant pas se montrer impoli, mais n'ayant aucune raison solide pour refuser un échange de quelques mots avec un inconnu, Jonas ( car c'était lui, nous le savons si Winkel n'en est pas encore sûr ) y alla de son propre commentaire.

- Moi c'est aussi les bâtons, mais je les taille. Comme ça, sans but ni raison. Un peu comme un tic. Mais chez moi, ça n'est pas une réminiscence de l'enfance, puisque d'enfance, je n'en ai pas eu, au sens où on l'entend d'ordinaire, dit-il en s'appliquant à châtier son langage. L'avantage, poursuivit-il, c'est qu'il suffit d'un couteau et qu'on a beau dire, mais c'est tout de même plus pratique à porter sur soi qu'un océan.

Winkel fut impressionné, tant par l'éloquence de son vis-à-vis que par sa diction parfaite et son humour alliant finesse et sens de la synthèse, sans parler de celui de la répartie, qui était évidente.(c'est l'auteur qui le dit...) Il avait dû se tromper, ça ne pouvait pas être l'homme qu'il recherchait. Sa cible ne pouvait être qu'un « nègre » inculte, pas un érudit doublé d'un subtil humoriste, (c'est encore l'auteur qui le prétend...) ce qui, à ses yeux, faisait en partie disparaître la couleur de son interlocuteur. Plus noir, pas tout à fait blanc sans être complètement gris, au lecteur de voir ce que ça peut donner.

- Moi, d'habitude, c'est la moto ma passion, mentit Winkel, et l'on notera ici le raffinement avec lequel le truand engageait les travaux d'approche, cherchait à faire parler Jonas, ( dont il ignorait que c'était Jonas ) à lui tirer du nez des vers dont la seule poésie résidait dans le cadavre de cet abruti de Al et dont il espérait ( sans trop y croire ) voir éclore des œufs d'où sortirait la vérité toute nue. (Et si la vérité, nue ou en habit de soirée, peut sortir de plusieurs œufs à la fois, c'est qu'elle est multiple, ce qui contredirait plus de deux-mille ans de sapience philosophique, laquelle tient que la vérité est une et indivisible. Par exemple, si je vous dis que deux c'est deux, eh bien c'est un et indivisible. A la différence des chrétiens qui disent que Dieu est trois et indivisible. Mais il est vrai que ce ne sont pas des philosophes, mais des croyants.) Et surtout les vieilles motos qui ne sont pas vraiment des motos, ajouta Winkel dont les travaux d'approche se confondaient de seconde en seconde avec ceux du taureau chargeant le torero dans l'arène.

- Eh bien moi, c'est la marche à pied, fit Jonas à qui on ne la faisait pas et qui se demandait pourquoi ce type venait lui parler « spontanément » de vieilles motos qui ne sont pas des motos, terme qu'il avait maintes fois entendues ces jours derniers et qui lui mirent la puce à l'oreille. Il la saisit entre le pouce et l'index et la déposa sur le dos d'un chien errant qui passait par là, la truffe au ras du sable. Cela, tout en lui donnant une contenance, lui offrit un moment de répit pour réfléchir à la question. Cyndy lui sauva la mise :

« Mais, mon amour, faillit-elle dire, tu en as pourtant une toi-même de vieille moto qui n'est pas tout à fait une moto, même qu'on serait venus avec si elle avait supporté nos deux poids ! »

Mais, comprenant, en fine mouche qu'elle était, que l'anguille des emmerdements s'était subrepticement glissée sous la roche de la perfidie, elle s'abstint et déclara que oui, ce qu'ils aimaient, c'était faire de longues balades sur la grève et marcher dans les vagues et l'écume et, de temps à autre, faire une halte de façon à récolter cette précieuse matière dans laquelle tailler une pipe, les meilleures qui soient, disent certains, tandis que d'autre ne jurent que par les Larsen.

 - Eh bien, dit Winkel, vous avez l'air d'en connaître un bout en matière de pipe, mademoiselle.

- Pas seulement le bout. Je suis en quelque sorte une véritable spécialiste.

- Il y a longtemps que je voulais m'initier, peut-être accepteriez-vous de le faire si toutefois nous avons le plaisir de nous revoir durant notre séjour commun dans cet hôtel et que vous ayez une minute à me consacrer. Si monsieur le permet, bien entendu.

- Une minute me semble bien court.

- C'est que, voyez-vous, il est à craindre que je n'ai guère de temps et que je risque de partir très vite, avertit Winkel.

- Eh bien tant pis, dit Cyndy soulagée, car en réalité elle n'avait pas la moindre connaissance dans ce domaine. Peut-être une autre fois ? Elle se demandait d'ailleurs ce qui l'avait poussée à entrer dans ce petit jeu et comment l'inconnu et elle-même en étaient arrivés à tenir une aussi longue conversation sur un objet dont le contenu avait enflé au fur et à mesure que son sujet lui sortait malgré elle de la bouche.

Elle déglutit, mal-à-l'aise mais rassurée que la chose ne lui soit pas restée finalement en travers de la gorge. Le lecteur, quant à lui, se demandera avec raison comment Cyndy, qui n'y entendait rien en matière de pipe, connaissait la réputée marque Larsen ? Hélas, nous ignorons nous-même la plupart des secrets de cette intéressante personne. Peut-être son père était-il fumeur de pipe, ou bien un ancien amoureux et avait-elle retenu ce nom-là comme on retient celui d'un chien avec lequel on n'avait pourtant aucune affinité, mais qui profanait quotidiennement de ses crottes votre environnement terrestre comme le fumeur de pipe, père ou amant, polluait votre atmosphère ?

Mais savait-elle, cette ingénue, que tout est parti de Wilhelm Ockenholt Larsen qui, en 1864 ouvrit à Copenhague une boutique spécialisée dans les cigares et que c'est Ole Larsen qui le premier, se lança dans la fabrication de pipes, dans les années cinquante et que c'est aujourd'hui, Niels, le fils de ce dernier, qui dirige la société ?, permettez-nous d'en douter.

- Pour en revenir à nos motos, commença Winkel qui ne voulait pas lâcher sa prise tant qu'il ne se serait pas fait une religion sur la question de savoir s'il était en présence ou pas de « son » nègre.

- « Vos » motos rectifia Jonas qui commençait à trouver suspect cette insistance.

Ya ! Ma moto... guttura* Winkel qui parfois laissait des réminiscences est-allemandes se glisser dans son langage, donnant ainsi une information supplémentaire sur ses origines alors que son accent à couper à la tronçonneuse en était le témoin permanent. (*du verbe néologique gutturer : émettre des sons depuis le gosier – je gutture, tu guttures, que nous gutturassions etc... mais l'on dit aussi parler allemand...)

- Oui ? Votre moto ? Interrogea Jonas avec lui des accents dont l'apparente sincérité ne masquait pas complètement le persiflage.

- Eh bien, fit Winkel décontenancé, c'est ma passion...

- Oui, vous l'avez déjà dit. Mais encore ? Parlez-moi de cette passion. Que ressentez-vous lorsque votre engin vibre entre vos cuisses ?

- Je... Winkel consulta soudain l'heure sur son portable, comme s'il venait brusquement de se souvenir d'un rendez-vous important. Je crois que ma femme m'attend, je m'excuse mais... à plus tard sans doute...

- Veuillez m'excuser, dit Jonas.

- Pourquoi donc ?

    - Non, je disais qu'on dit « veuillez m'excuser » et non pas «je m'excuse. » Veuillez à votre tour me pardonner, c'est une manie chez moi, une mauvaise habitude... Je la dois à cet auteur...

- Quelle hauteur ?

- Laissez tomber...

Winkel s'éloigna, légèrement groggy. Il en était sûr à présent, cet homme ne pouvait être celui qu'il cherchait. Bah, tant pis, la chance ne vous souriait pas à tout coup. C'eût été miraculeux et Winkel, qui avait pris l'habitude de tout contrôler, savait ce que l'on doit penser des miracles. Mais pourquoi diable s'était-il senti si mal à l'aise en présence de ce jeune noir ? Ah, se dit-il, voilà ce qui arrive à trop fréquenter les gens de mon espèce, je perds pied devant les intellectuels, face à des gens qui ne réfléchissent pas seulement en termes de pognon, de pouvoir et de règlements de comptes. Lory avait mille et une fois raison, il était temps de lever le pied et de passer quelques mois à prendre le sien.

Il se présenta à la réception et demanda le numéro de la chambre que sa femme avait réservée.

- Madame doit y être, Monsieur, je ne l'ai pas vue sortir.

Elle y était en effet.

A vrai dire, elle y était, sans effets.

Winkel se débarrassa des siens.

Jetons un voile pudique...

4 août 2014

Chapitre 32...

...suite...

 

32

 

Mc Bride était inquiet. Depuis qu'il avait remplacé son chef, mort, comme on le sait, pour s'être exécuté devant un ordre, aucune affaire n'était venue rompre la monotonie de ses jours. Connaissant ses compétences, qui lui en aurait confié une ?

Mc Bride était inquiet et soucieux. Une question le taraudait : qui avait pu lui envoyer le message reçu le matin ? Le mail provenait d'un certain a.nonym, un pseudonyme selon toute apparence et Mc Bride, en bon policier, haïssait les anonymes, lui qui avait prêté serment afin de pouvoir vérifier les papiers d'identité de n'importe quel quidam quand cela lui chantait. Par exemple, s'il avait arrêté l'assassin de Al, la première chose dont il se serait préoccupé aurait été de lui demander ses papiers, afin d'avoir la certitude que l'homme était bien celui qu'il prétendait être. Par exemple, si l'homme était noir, il fallait que la photo corresponde. S'il s'avérait que l'homme de la photo était blanc ou qu'il était une femme, on pouvait être à peu près certain de se trouver en présence de faux papiers. De la part d'un assassin tout était possible.

Il éteignit l'écran de son ordinateur pour parer à toute indiscrétion au cas où quelqu'un – et bien que ce fût absolument improbable -  entrerait inopinément dans son bureau en son absence, se leva et alla passer la tête dans le bureau de Marty.

- Ça va Marty ? Demanda-t-il alors qu'il connaissait la réponse. Pour Marty, tout allait toujours bien, et mieux encore depuis qu'il avait remplacé Mc Bride à son poste. Il bénéficiait en effet de son ancien ordinateur et passait ses journées sur des sites pornos, les seuls qui fussent vraiment à sa portée, ce qui ne l'empêchait pas de jouer continuellement avec sa réplique de Schreck dont les « GRRrrr ! Mein Kleinermann ! Se mêlaient régulièrement aux soupirs, cris et halètements qui déchiraient l'écran.

Si l'on avait pu jeter un œil sur l'écran de Mc Bride, on aurait constaté que les mêmes scènes s'y déroulaient. Étonnant chez un homme qui avait de telles responsabilités, n'est-ce pas ? Non ? Remarquez, l'auteur n'en est pas plus étonné que vous, c'est quelqu'un qui ne se fait plus depuis longtemps la moindre illusion sur l'être humain.

En revanche, si l'on avait pu y jeter le même œil le matin, on aurait vu que le mail en question montrait une petite fille en prière demandant au Seigneur d'envoyer des habits à toutes les jeunes femmes qui étaient sur l'écran de son papa. Mc Bride ne goûtait guère à ce genre d'humour, d'autant moins qu'il en était la victime. Quel était l'enfoiré qui connaissait ses peu avouables pratiques et qui le lui faisait savoir ? Un chantage allait-il suivre ou bien n'était-ce qu'une blague d'un de ses collègues ? Le temps le dirait.

Marty n'avait lui, aucun complexe pour regarder ce qu'il regardait. Marty n'avait pas assez de cervelle pour souffrir d'un complexe quel qu'il fût. Il n'avait même pas connu celui d'œdipe dans son enfance, c'est dire s'il était une âme simple et dénuée de toute perversité. Les sites pornos ne l'excitaient pas, ils l'amusaient. Il regardait hommes et femmes se mélanger dans les positions les plus invraisemblables comme il aurait regardé un type glisser sur une peau de banane dans un burlesque ou une bataille à coup de gâteaux à la crème. Mais le bouquet c'était quand les mecs éjaculaient sur le ventre, les seins, le cul ou le visage des femmes. Ça c'était follement, irrésistiblement drôle.

 - Tout va bien ? demanda Mc Bride en haussant le ton car Marty, secoué de rire, n'avait pas répondu à sa première question qui était sensiblement la même, on l'aura compris.

 - GRRrrr ! Mein Kleinermann ! fit Schreck.

 - Ouais ! et vous chef ? répondit Marty entre deux quintes de rire.

 Mc Bride ne répondit pas. D'ailleurs il se foutait de savoir si ça allait ou non, il ne s'était adressé à Marty que dans le but de lui montrer qui était le chef et que le chef était toujours là à vous observer. Qu'il fallait se le dire et se tenir prêt. A quoi, il n'en avait pas la moindre idée.

Il referma la porte et retourna s'installer derrière son bureau, ralluma son écran, mais le cœur n'y était plus. Il déplaça son grand corps fatigué jusqu'au frigo et se servit une bière, mais il lui trouva mauvais goût. D'ailleurs tout avait mauvais goût ces temps-ci. Et tout le monde. Il jeta un regard circulaire autour de lui, mais la pièce était carrée et celui-ci se déforma, épousa les angles et, par un effet d'élastique, lui renvoya une image fractale en pleine figure. C'était assez douloureux, mais supportable et lui permit de constater que lui aussi avait mauvais goût. Cette décoration était à chier. Criarde. «  Mon goût gueule » pensa-t-il et par association d'idées il se souvint qu'il avait des RTT à prendre et que le moment était opportun, aussi alla-t-il sur la toile se chercher un hôtel pour quelques jours. Pourquoi pas à Port-Cinglant ?, se dit-il.

Parmi tout ceux qu'il « visita », « Le Restaurant des Alpes » lui parut convenir à un repos bien mérité. Il était situé au bord de la mer, on y vantait son calme et, pour les amateurs de planche-à-voile, le lieu était bien venté. Mc Bride n'aimait pas la planche à voile, mais il appréciait les caresses du vent, les embruns qui vous fouettaient le visage, quand il n'était pas suffisamment violent pour vous arracher la moustache, ce qui tombait bien puisque Mc Bride était imberbe et sans moustache. Pour le reste, Mc Bride détestait la mer, ses bains, son sable qui s'insinuait partout. Il avait horreur de s'exposer au soleil pour bronzer, c'était l'activité la plus con du monde et la moins utile en plus d'être dangereuse, d'ailleurs, Mc Bride avait horreur des vacances en général, il fallait n'avoir rien à foutre pour partir en vacances. Mc Bride était con, c'est une évidence, mais pas au point d'aller s'entasser avec d'autres cons à trois au mètre carré. Mc Bride était un con solitaire comme il y a des lonesomes cow-boys.

Sur les photos de l'hôtel on ne voyait personne, les bâtiments, la salle de restaurant, les chambres et la plage, tout semblait désert. Il ne lui vint pas à l'esprit que les photos avaient été prises hors saison ou qu'on craignait, à la Direction, un procès pour droit à l'image tel que ça se pratiquait de plus en plus de nos jours. Il y avait des avocats spécialisés dans ce genre d'affaires, et qui gagnaient souvent devant les tribunaux.

Il réserva deux chambres par internet, entra dans le bureau de Marty, éteignit son ordinateur, ce qui lui coupa le rire au bord des lèvres.

- GRRrrr ! Mein Kleinermann ! Grogna Schreck comme pour montrer sa désapprobation.

    - Prends ta valise, on y va ! Lança Mc Bride. Schreck ne réagit pas. Marty à peine.

Mc Bride n'appréciait pas plus que ça Marty, pour l'emmener en vacances, mais il avait toujours ressenti le besoin d'être accompagné en toute circonstance, par plus con que lui, ainsi, de son côté, pouvait-il paraître plus intelligent qu'il n'était. N'en était-il pas de même à tous les échelons de la société, sinon, pourquoi les Présidents auraient-ils des « vice » en plus de leurs siens propres ?

Marty ne demanda pas où on allait, le même esprit de logique qui lui fit répliquer qu'il n'en avait pas sous la main et qu'il lui faudrait passer chez lui pour cela, lui interdisait de poser des questions auxquelles il savait qu'il n'obtiendrait pas de réponse.

     - Profites-en pour la remplir de quelques affaires de plage, tu pourrais en avoir besoin, dit Mc Bride pendant qu'ils se dirigeaient vers le domicile de Marty.

     - J'aime pas la plage, chef.

     - Alors n'en prend pas.

     - J'aime pas, chef, mais si j'en ai besoin... pour l'enquête ?

     - Alors prends-les au cas où.

     Que Marty n'aimât pas la plage le faisait remonter dans son estime. Ainsi avaient-ils un point commun ? Il ne l'aurait jamais cru.

     - Il n'y a pas d'enquête, Marty, crut-il bon de l'informer, on va juste se donner du bon temps.

     - Ah ! Y aura un ordinateur, chef ? Parce que j'aime bien les trucs comiques. Parce que comme j'aime pas la plage, je sais pas comment je vais me donner du bon temps.

     - C'est possible, Marty. Dans tous les bons hôtels il y a un ordinateur à la disposition de la clientèle.

     - Tant mieux, chef... On va à l'hôtel ? C'est lequel, l'hôtel de Ville ou l'hôtel de police, chef ?

    - Ni l'un ni l'autre, Marty. Juste un hôtel. Dis, tu voudrais pas arrêter avec ton truc ? ! Ça commence à me taper sur le système !

     Marty rangea à regret son Schreck dans sa poche, sans toutefois cesser de le caresser.

     - C'est que, chef, on s'est pour ainsi dire habitués l'un à l'autre. Comme qui dirait qu'on s'est apprivoisés. Je crois que je le rassure. Chez moi, ma propriétaire n'accepte pas les chiens ou les chats, alors avec lui je suis tranquille, c'est pas un animal domestique. Et puis, on a beau dire, mais c'est quand même plus propre, faut le reconnaître.

     Mc Bride se sentit rassuré à son tour. Il pouvait être tranquille, il passerait pour un génie aux yeux des quelques touristes qui risquaient malheureusement de fréquenter l'hôtel. On était tout de même en pleine saison.

 

C'est au moment où ils traversaient un quartier plutôt mal famé de Port-Cinglant que la voiture de Mc Bride donna des signes de faiblesses puis rendit l'âme pour de bon. Mc Bride n'avait aucun sens de l'orientation, aussi avait-il raté la bretelle qui permettait de contourner la ville et s'était-il engagé dans une large avenue, puis mû par un instinct qu'il croyait sûr, il avait bifurqué à gauche, puis à droite, puis... Puis il s'était retrouvé à errer dans de petites venelles où la voiture avait le plus grand mal à se frayer un chemin.

Et c'est là qu'il était tombé en rade.

Il ouvrit le capot, mais c'était pour la forme car il n'y entendait pas davantage en mécanique qu'en orientation et une clé à molette ne lui aurait pas été plus utile qu'une boussole à un aveugle.

 - Je crois qu'il n'y a rien à faire, énonça-t-il doctement comme s'il avait identifié la panne au premier coup d'œil. Qu'il n'y eût rien à faire, ça tombait sous le sens, sinon chercher un mécano. Mc Bride n'avait aucune envie de se préoccuper de ce genre de choses pour l'instant. Merde, il n'avait que trois jours de RTT, il n'allait pas les gaspiller dans l'attente d'une réparation. Que la voiture aille au diable ! Pensa-t-il, et c'est à peu près ce qui lui arriva, sous la forme d'un jeune type légèrement boiteux et au visage tuméfié, accompagné d'une bande de petites frappes qui commencèrent à tourner autour du véhicule d'un air gourmand.

Mc Bride soupira puis sortit sa carte de police d'un geste las.

S'il faut reconnaître une qualité à Mc Bride, c'est qu'il n'était pas toujours un lâche, pas devant les minables.

- Officier de police Mc Bride, énonça-t-il. Il y a quelque chose pour votre service ?

Il adorait cette phrase. Elle produisait toujours le même effet après des années et lui procurait le même plaisir. C'était comme un mariage qui tient bon malgré les tempêtes. C'était même beaucoup plus sûr. Et il aimait encore plus celle qui suivit :

 - Vous avez vos papiers ?

 - Ben M'sieur, faut pas le prendre comme ça, on a rien fait ! ( il voulait dire encore rien fait. )

- Vous avez de la chance que j'ai d'autres chats à fouetter ! Dit Mc Bride qui ne voulait pas plus perdre de temps à contrôler les papiers de ces loubars qui en étaient certainement dépourvus qu'à trouver un mécano. C'est comment ton nom ?

- Al, M'sieur. Mon nom c'est Al ! Pour vous servir. Si y a quek chose que j'peux faire...

- Peut-être bien. Tu connais un mécano ?

- Oui, M'sieur, mais à votre place j'en chercherais un autre...

- Ah... comment je vais faire, moi ?

- Ben y aurait une solution...

- Dis toujours.

- Ben moi et mes copains on pourrait vous la garder, moyennant une petite pièce, le temps que vous faisez ce que vous avez à faire.

Mc Bride ne releva pas la faute de temps et réfléchit une seconde.

- Et elle s'élèverait à combien, la petite pièce ?

Al grimaça, ce qui paradoxalement le rendit presque plus beau, ou plutôt moins laid.

- Faut voir... allez, vous êtes de la police, on va pas vous étrangler... Et il donna un prix que Mc Bride coupa en deux, à prendre ou à laisser.

- Bon, bon, c'est d'accord, mais à ce prix-là j'me tranche la gorge ! Pleurnicha Al.

- Au fait, dit Mc Bride, tu devrais changer de nom, Al ça porte malheur.

- C'est marrant ça, y a déjà un nègre qui m'a dit la même chose.

Mc Bride sentit un frisson particulier lui parcourir l'échine. On ne pouvait pas avoir une chance pareille, en tout cas pas quand on s'appelait Mc Bride et qu'on était un officier de police aussi malchanceux. Né un 13 à treize heures une année à treize lunes, c'était dire ! Et comme avait dit sa mère, heureusement qu'il n'y avait pas treize mois dans l'année !

- Un nègre ? Il était comment ton nègre ?

- Noir.

- Il avait une bagnole ?

- Nan ! Pas de bagnole.

- Ah...

- Mais il a une moto. Enfin si on peut appeler ça une moto, une espèce de pétrolette que si mon père m'avait offert la même je lui aurais craché à la gueule ! Enfin, ça risquait pas d'arriver vu que j'en ai pas de père, mais c'est pour dire.

Merde, se dit Mc Bride, c'est bien ce que je craignais. Ça peut pas être lui. Cependant, des années d'expériences malheureuses lui avaient enseigné que les apparences sont souvent trompeuses et que tant qu'on ne sait pas à coup sûr on ne sait jamais. Rien ne l'empêchait d'interroger ce nègre.

- T'as une idée d'où on pourrait le trouver ?

- Nan ! La dernière fois que je l'ai vu il était avec une pute qu'on appelle Cyndy. Et y a un type qui le cherchait.

- Qui ça, Cyndy ?

- Non, vot' nègre. Putain, tout le monde a l'air de chercher un nègre ces temps-ci !

- Qui cherche un nègre ?

- Des types.

- Quel genre ?

- Pas le votre en tout cas. Je dirais même plutôt de l'autre côté, si vous voyez ce que je veux dire. Et y z'avaient pas l'air de plaisanter.

- Tu saurais me les décrire ?

- Ouais. Deux balèzes dont un idiot qui jouait avec Schreck.

- Schreck ?

- Ouais, une espèce de poupée en plastique, c'est un truc qu'on voit au cinéma.

- Tu veux dire un truc comme ça ? fit-il en désignant Marty qui jouait de nouveau avec le sien.

- Ouais, le même. Vous l'avez acheté où ? dit-il à l'adresse de Marty.

- Pas acheté. On me l'a offert au Mc Do la dernière fois que j'ai pris un menu enfant.

- Tu as des enfants, Marty ? s'étonna Mc Bride.

- Non, mais je trouve ça meilleur. Et puis ils offrent des cadeaux. J'ai presque toute la collection, je vous montrerai, chef.

- Vous me montrez comment ça marche ? demanda Al à Marty, l'œil brillant.

- Ben il suffit de lui retirer... commença Marty.

- Quand vous aurez fini ! fit Mc Bride sur son meilleur ton de chef. Alors, ton nègre, pas idée d'où il est allé avec sa pute ?

- Ch'ais pas. Demandez voir au Marin Pécheur, c'est là qu'y créchait. P't'êt qu'il leur a dit.

Passons si vous le voulez bien sur les quelques échanges qui suivirent et qui ne présentent pour nous aucun intérêt. Et retrouvons Mc Bride et Marty quelques instants plus tard en discussion avec le concierge du boui-boui. Mc Bride avait présenté d'office sa carte de police, s'épargnant ainsi des palabres inutiles qui auraient de toute façon abouti à ce qu'il l'exhibe au nez du cerbère, chicane qui nous aurait fait perdre un temps précieux. Hors, comme les pages, le temps nous est compté. 295 sous le format actuel, c'est déjà beaucoup pour la patience du lecteur et nous ajouterons que le manuscrit va nous coûter un œil à expédier depuis Berlin où nous écrivons ce roman.

Donc.

- Paraît que vous avez loué une chambre à un nègre il y a quelques jours, dit Mc Bride.

- Ah ! Ah ! S'esclaffa le concierge. Y a que les nègres pour louer ici. Il était comment votre nègre ? Noir ? Ouaff !

- Paraît qu'il était accompagné d'une pute.

- M'étonne pas. Y a que les putes pour coucher avec les nègres. C'était une négresse aussi votre pute ?

- Ben... je sais pas... reconnu Mc Bride. Merde, il n'avait pas pensé à demander à cette petite frappe de Al. Une pute c'est une pute, blanche ou noire ça doit se reconnaître, non ? précisa-t-il.

- Depuis le temps que je fais ce boulot, mon bon monsieur, je peux vous dire que j'en ai vu de toutes les couleurs, sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, eh ben, je peux vous assurer que de nos jours on sait plus faire la différence entre une pute professionnelle et une bourgeoise. Parce que, faut pas croire, mais y en a qui aiment bien s'encanailler, si vous voyez c'que j'veux dire...

Mc Bride n'était pas plus avancé, et du coup nous non plus.

- Y a bien un jeune nègre qui m'a paru bizarre, y a quelques jours... je veux dire plus bizarre que les autres nègres. A ce que j'ai entendu dire, il se serait battu avec un mac du quartier, Roger qu'il s'appelait, à cause d'une pute. Ça pourrait bien être votre bonhomme.

- Qu'il s'appelait ? Pourquoi, il est mort ?

- Allez savoir ! En tout cas, c'que j'peux vous dire, c'est que votre nègre, si c'est lui, il a payé plusieurs nuits d'avance et je l'ai pas revu, même que j'ai refilé sa piaule à deux mecs louches. Et autre chose, que j'peux vous dire, c'est que le Roger, on l'a pas revu dans le secteur. Juste depuis ce soir-là. Ça vous paraît pas bizarre à vous ?

- Ouais. Tes mecs louches, ils ressemblaient à quoi ?

- A des mecs louches. Je veux dire plus que d'habitude. Et eux aussi ils cherchaient après un nègre. C'est deux balèzes. Y en a un qu'a pas l'air net.

- Pas net ?

- Ouais, un peu demeuré, si vous voyez c'que j'veux dire.

- Il passerait pas son temps à jouer avec une espèce de poupée...

- Ouais ! C'est ça ! même que je me suis dit que c'était quand même pas de son âge... Un truc qui parle, dans une langue que je comprends pas. Et y rigole bêtement. Un débile on dirait. Et pis y a un type qui les a rejoints, avec une nana super canon. Pas le genre qui fréquente ce genre d'endroit. D'ailleurs la poupée elle lui a fait une scène et elle est partie.

- Qui est parti ?

- Ben la poupée.

- Tu veux dire que les trois autres sont encore là ?

- Pour sûr, mon prince, même qu'ils posent des questions sur ce nègre un peu partout dans le quartier. C'est que c'est comme un village ici, vous comprenez, on sait tout...

- Ben, pour quelqu'un qui savait rien, t'en sais un bout !

- Comme j'ai toujours dit : quand on a rien à se reprocher, y a pas de mal à donner un coup de main à la police, n'est-ce pas ?

Tout ça ressemblait bien à Winkel et consorts, consorts étant entendu ici comme étant Baby Max et Georg, le qualificatif de poupée, vous l'aurez compris, définissant Lory, mais dans l'esprit de Mc Bride, on ne pouvait pas l'inclure dans les consorts en question. Mc Bride ne savait pas s'il devait se réjouir ou se lamenter que le sort ( qui pouvait se révéler très con ) l'eût retrouvé alors qu'il avait tout fait pour s'en éloigner et qu'il espérait bien profiter de ses vacances. Il ne fallait pas que Winkel le voit, ou l'un de ses sbires, s'il s'agissait bien d'eux, ce dont il ne doutait pas. Winkel lui demanderait où il en était de son enquête et, sans dire qu'il avait renoncé, il ne pourrait qu'avouer qu'il piétinait lamentablement et ça, Winkel n'était pas homme à l'admettre, à faire preuve de la moindre compréhension. Maintenant, comment Winkel se trouvait-il là, sur la piste de l'assassin de son homme, c'était un mystère sur lequel il n'avait pas le goût de lever le voile, fût-il pudique. Après tout qu'il se débrouille !

- Vous pouvez m'appeler un taxi ?

Le concierge ricana.

- On voit que vous connaissez pas cette ville, lieutenant, ( il l'avait nommé par ce grade à tout hasard, sergent aurait pu le vexer ) vous risquez d'attendre un bon bout de temps. Vous auriez tout intérêt à en chercher un sur le boulevard, c'est plus sûr, y en a toujours en maraude. Enfin, moi ce que j'en dis, c'est pour vous...

Marty à sa remorque, il en trouva un en effet.

- Et ils vont où ces messieurs ? demanda le chauffeur. ( Qui s'appelait jusqu'à présent Gaston, mais nous y reviendrons... ) Mc Bride n'avait aucune raison d'exhiber sa carte de police, aussi s'en abstient-il, bien qu'il le regrettât.

- Vous connaissez un hôtel du nom de... commença-t-il. Gaston eut comme une intuition.

- Le Restaurant des Alpes vous voulez dire ?

- Comment vous avez deviné ?

- Oh ! dans mon métier on apprend à être psychologue... votre collègue, je dirais pas, mais vous, vous avez une tête à vous rendre à cette conférence...

- Quelle conférence ?

- Je sais pas, mais vu le nombre de personnes qui se rendent à ce même hôtel depuis quelques temps, ça doit être important. Vous y allez pas pour ça ?

Mc Bride se sentit flatté qu'on pût le prendre pour un conférencier, lui qu'on avait toujours plutôt pris pour un con. Cependant, que l'hôtel soit pris d'assaut par une bande de colloquataires, ( c'est ainsi qu'il croyait qu'on nommait les participants à un colloque ) ça ne lui plaisait guère

- Vacances ! Lâcha-t-il bougon. Merde, lui qui espérait la paix, il allait se retrouver au milieu d'une tapée de conférenciers, des intellos auprès desquels il ne ferait pas illusion longtemps, Marty ou pas à ses côtés. Il devrait tout faire pour les éviter, ne pas accepter le contact répugnant de profs ou de savants qui, peut-être, le prendraient un instant pour l'un des leurs, l'interrogeraient sur le sujet de son exposé et tenteraient de faire ami-ami. Boudin crottin, se dit-il, c'est là que j'aurais dû aller, si l'avion ne coûtait pas si cher, on risque pas d'y rencontrer quelqu'un dont le Q I dépasse les 70. La seule chose qui les dépasse, ce sont les mensurations des starlettes ou assimilées. Et c'est même pas naturel.

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3 août 2014

Chapitre 31...

...suite...

31

 

Le sergent Bonny poursuivit son errance jusqu'à ce qu'il rencontre, au coin d'une rue, en fait au coin que formait deux rues, un groupe de bénévoles qui s'étaient donné pour vocation d'aider leur prochain. Gloire à eux ! Ça tombait bien car Bonny était le prochain, il arrivait juste après celui d'avant qui s'en repartait les mains chargées d'une assiette de soupe brûlante qu'il tenait à grand peine tant cela était douloureux. Il la posa sur une poubelle et agita les doigts, ce qui était une erreur grossière, car si cet homme avait poursuivi quelques études de physique, il aurait appris que le mouvement engendre la chaleur et que donc, plus il secouait ses mains, moins les brûlures que son geste était sensé apaiser cesseraient de le torturer. Mais bon, on ne peut tout de même pas demander à un SDF de posséder des connaissances qui, s'il les avait acquises, lui permettrait d'exercer au moins le métier d'éboueur. Et donc de manger à sa faim sans avoir recours à la charité publique, ce qui est tout de même humiliant, tant les poubelles des nantis regorgent de denrées périssables non encore périmées. C'est d'ailleurs là que se fournissait la charitable ONG pour confectionner sa pitance.

- Frère, lui dit une jeune femme au sourire édenté et à la jupe de laine grossière qui couvrait jusqu'aux pieds des jambes qu'elle faisait en effet bien de cacher. Frère, as-tu faim ?

- … faim... dit Bonny.

- Prend, dit la femme qui, au deuxième regard était sans âge défini et qu'on ne saurait donc qualifier de jeune sans que l'on pût davantage affirmer de façon certaine qu'elle était vieille et bien qu'elle parût plus vieille que jeune.

Elle lui remit une assiette de plastique dans laquelle elle versa une pleine louche du bouillon brûlant sur lequel flottaient une multitude d'yeux, bien que Bonny ne fût pas croyant et encore moins depuis qu'il ne savait pas qu'il était le sergent Bonny.

Sous l'effet de la chaleur et du poids conjugués, l'assiette se déforma et la soupe commença à se répandre sur les mains du malheureux. Bonny qui n'en demandait pas tant. Heureusement pour lui, Bonny ne sentait plus rien, aussi ne réagit-il pas aux brûlures au troisième degré qui firent gonfler la peau de ses doigts jusqu'à ce qu'ils ressemblent à de petites saucisses, de celles qu'on appelle les Kuri-wurtz en Allemagne et auxquelles ils s'apparentaient aussi par la couleur rouge sang.

- Il faut manger mon frère ! glapit la femme sans âge et au corsage qui lui écrasait la poitrine jusqu'à la faire disparaître. Il faut manger ! Répéta-t-elle, furieuse que Bonny gaspillât cette excellente soupe qui était le fruit de son dur labeur. Fouiller les poubelles et préparer le breuvage n'était en effet pas de tout repos. Mais Bonny ne savait plus ce que manger voulait dire et il restait là, immobile, l'air béat et, pour une raison qui nous échappe, regardant fixement la femme sans âge défini au chignon couvert d'un chapeau de paille tenu sous le menton par une écharpe qui laissait apparaître, au-dessus d'un nez proéminent, une paire de lunettes aux verres aussi épais que les hublots d'un bathyscaphe, il se mit à bander. La chose serait passé inaperçue si Bonny avait porté son uniforme dont le tissu est assez épais pour y glisser une matraque sans qu'on la remarque, mais ainsi vêtu ( pour mémoire il portait une chemise de nuit qui lui tombait au pieds ) on pouvait penser qu'il cachait un pied de biche et qu'il était peut-être un monte-en-l'air s'apprêtant à commettre un forfait.

La femme sans âge défini pâlit, sua, trembla, bégaya, renversa de la soupe sur le trottoir puis, après avoir empoigné Bonny par la manche ( ce qui eut pour effet de renverser tout à fait ce qu'il restait de soupe dans son assiette déformée par la chaleur et de lui brûler les pieds ) elle l'entraîna dans une ruelle qui pour être adjacente n'en était pas moins sombre et étroite, surtout à cette heure tardive. Quoi que l'heure tardive n'eût aucune influence directe sur l'étroitesse de la ruelle, le lecteur aura compris que nous parlions du fait que la ruelle était sombre « à cette heure tardive ». Qu'elle fût étroite était dans sa nature, un état de fait aussi bien diurne que nocturne. Mais ne nous éloignons pas. Si nous tardons tant, c'est sans doute que nous répugnons à décrire ce qui va suivre et sur lequel il faudrait jeter un voile pudique. Hélas, la vérité est une et indivisible. Il arrive certes qu'elle soit invisible, mais ce n'est pas ici le cas, la ruelle a -t-elle beau être sombre à cette heure tardive, nous craignons qu'il ne nous faille mettre en lumière la scène en question. Servons-nous pour cela de l'éclairage public. C'est en effet sous un bec de gaz que la femme sans âge défini entraina notre infortuné Bonny.

Hiltrud, ( prononcer Hiltroud ) car tel était son prénom, ( une contraction des deux prénoms : Hildegarde et Gertrud, prononcer Gertroud ) Hiltrud donc, était pucelle, aussi pucelle qu'était puceau notre infortuné Bonny, c'est à dire pas peu.

Hiltrud était pucelle ET dévote. Aussi dévote qu'elle était pucelle et depuis à peu près aussi longtemps, ce qui explique pourquoi on la trouvait, à des heures où d'ordinaire les filles dévotes sont occupées à leurs prières, à distribuer de la nourriture aux déshérités.

Le lecteur, qui a question à tout, se demandera ce que vient faire cette Hiltrud dans ce récit et en quoi son apparition fait avancer le schmilblick. Patience. Si en France, dit-on, tout fini par des chansons, dans ce roman, tout fini par avoir une explication logique. Du moins l'auteur l'espère-t-il. Il lui faut cependant connaître de certaine pratique au sein de l'ONG, pratique qui consistait en des farces dignes de potaches et dont le but avoué sans avoir recours à la torture était d'alléger quelque peu une atmosphère lourde des conséquences psychologiques qu'engendrent inévitablement la fréquentation quotidienne de la misère humaine. Ainsi des chirurgiens qui lancent aux infirmières de grasses plaisanteries tandis qu'ils sont occupés à extraire d'un corps des éclats de shrapnel ou à pratiquer l'ablation d'un organe sur un enfant atteint d'un cancer.

Ouvrons une parenthèse destinée à l'édification du lecteur. Le shrapnel fut inventé en 1784 par le lieutenant Henri Shrapnel, officier du corps royal d'artillerie de sa Gracieuse Majesté. Il fut ainsi le premier à mettre au point une arme anti-personnelle. Il appela son invention « Boîte à mitraille sphérique », mais il y a parfois une justice, celle-ci eut en effet tant de succès qu'en 1852 on lui donna officiellement le nom de son concepteur. Le Duc de Wellington l'employa contre Napoléon ( sans l'atteindre personnellement, hélas ! C'est à dire qu'il tua nombre de ses soldats dont les noms ne sont pas restés dans l'histoire si leurs corps sont restés sur le champ de bataille... ) de 1808 à Waterloo et laissa ( d'immortels – et ce sont bien les seuls - ) écrits admiratifs sur son efficacité.

Fermons là cette triste parenthèse et  revenons-en à Melle Ramousies, car tel était le patronyme d'Hiltrud, nous l'avons appris grâce à l'écrivain François Caradec qui nous l'a glissé à l'oreille.

L'un des potaches avec lesquels elle avait l'honneur de partager la puanteur et les poux qui émanaient de la populace affamée, avait glissé à l'intérieur d'une pile de vêtements usagés destinés à ces mêmes miséreux et qu'elle était chargée de trier, ( c'est à dire les vêtements issus de boutiques de luxe qui pourraient servir aux bénévoles d'un côté et les autres ) à seule fin de voir sa réaction, une revue pornographique parmi les plus éloquentes qui fussent sur le marché. Quel ne fut pas son étonnement de constater qu'après avoir rougi, verdi et bavé, Melle Ramousies avait discrètement glissé la revue entre son corsage et sa poitrine qu'elle avait, disait-on ( mais ce n'était peut-être là que racontars ) opulente à souhait.

Rentrée chez elle et après en avoir demandé pardon au Seigneur, elle avait jeté un œil sur le contenu de la dégradante revue. Combien de fois se signa-t-elle et combien de fois se frappa-t-elle la poitrine ( qu'elle avait, disait-on, opulente ) tandis qu'elle tournait les pages, seule une mouche témouine de cette scène aurait su nous le dire.( Non, il ne s'agit pas d'une faute de frappe, mais un auteur digne de ce nom doit laisser sa trace dans l'histoire de la langue en féminisant à son tour un mot qui avait échappé à la vigilance des chiennes de garde. Et pour faire bon poids, nous rajoutons à cette liste le mot médecine en tant que féminin de médecin)

Sachez cependant que tout ce que Melle Hiltrud connaissait de l'amour physique, elle le devait à une fréquentation assidue des pages glacée de la revue. Doit-on le dire ? On y suçait tout de même beaucoup. On y suçait même essentiellement. Disons-le carrément, on ne faisait qu'y sucer. Tant et si bien que Melle Hiltrud en était venue à penser que c'était là la pratique la plus courante, sinon la seule à laquelle se livraient les amants.

L'étude minutieuse des 180 pages lui avait aussi enseigné que les hommes ont tendance à faire pipi sur le visage de leur partenaire et que leur pipi était blanc et crémeux, contrairement à celui des femmes.

Mais avec les hommes, il ne fallait s'étonner de rien.

N'empêche que tout cela l'avait émoustillée et que, malgré sa dévotion à Notre Seigneur, ( enfin au vôtre, car moi je suis athée ) elle rêvait de mettre en pratique les images qui peuplaient désormais les rêves de chacune de ses nuits et qui la laissaient au matin pantelante, frustrée et avide.

D'une main elle ôta son chapeau et son châle qu'elle laissa tomber aux pieds de Bonny tout en le maintenant plaqué au mur de son autre main afin qu'il ne puisse lui échapper, se mit à genoux sur ce coussin improvisé et passa la tête et les épaules sous la chemise de nuit du sergent, laquelle nous servira de voile pudique qui dérobera à nos yeux la pipe délicieuse dont elle gratifia le membre vierge et érectile qui n'aurait jamais cru que telle chose fut possible, ni même envisageable. Bonny éjacula après deux ou trois va-et-vient entre les lèvres de Melle Hiltrud, mais disons-le à sa décharge, c'était sa première pipe et de plus, Bonny, comme nous le savons, avait perdu l'usage de son cerveau d'homo sapiens, c'est à dire qu'il ne restait de lui que la part animale et que ces derniers, c'est bien connu, ne s'embarrassent pas en préliminaires, pas plus qu'ils ne se préoccupent de la durée de leurs coïts. Les animaux baisent comme des bêtes et ne souffrent pas d'orgueil mal placé.

Dire que Melle Hiltrud fut surprise serait peu. Après avoir recraché dans le ruisseau le liquide poisseux et salé, elle constata que le membre de Bonny ne pouvait plus répondre au qualificatif de viril.

Mais c'est que ça lui avait donné des idées. Sans qu'elle ait eu besoin de photos suggestives, elle avait su d'emblée où elle voulait ensuite enfourner cette chair tumescente et elle eut beau secouer, re-sucer, se dépoitrailler ( et en effet sa poitrine correspondait en tous points aux ragots ) et mettre le membre entre ses seins comme sur certaines images de sa revue, rien n'y fit. Bonny restait de marbre. Enfin, c'est une image, il demeurait plutôt de mou pour le chat. Et ce ne sont pas ses « petit Jésus ! Petit Jésus ! » qui y changèrent quoi que ce soit. Le fils de Dieu avait sans doute d'autres préoccupations à cette heure tardive, ou bien n'existait-il pas davantage que son père, ou bien, à l'instar de celui-ci était-il sourd aux supplications des humains, si ce n'est qu'il s'en foutait carrément. On pourrait aussi penser ( ce qui est le cas de l'auteur ) que c'était l'ensemble de ces propositions, dont trois sur quatre découlaient de la seconde.

Toujours est-il qu'après un bon quart d'heure d'un subtil mélange de prières et de branlettes en tout genre, force lui fut de constater qu'elle s'était engagée dans un combat inutile, aussi se résolut-elle la mort dans l'âme à se rabattre sur une solution disons périphérique, à savoir, repousser à plus tard une nouvelle tentative. Car Melle Hiltrud avait beau être pucelle, elle n'en avait pas moins eu l'occasion d'observer les animaux sous la forme des deux teckels de sa maman chez qui elle vivait encore à quarante-trois ans et constaté que le mâle finissait toujours par rebander à un moment ou à un autre.

Ce qui est valable pour un chien mâle, se dit-elle judicieusement, doit l'être pour un mâle humain. Attendons. Observons et saisissons l'occasion dès qu'elle se présentera. ( ce qui, dans le langage châtié de Melle Ramousie, signifiait : saisissons cette bitte dès qu'elle re-bandera. )

     - Où puis-je vous trouver ? Demanda-t-elle pleine d'espoir.

- ...trou-ver... répondit Bonny.

- Je veux dire, vous avez une adresse ? Non, suis-je bête, sinon vous ne vous seriez pas présenté à la soupe et vêtu de cette façon, pour le moins... originale...

 - ...gina-le... répondit Bonny.

 - Vous avez de l'argent ? Non... tenez...

 -...nez... répondit Bonny.

Hiltrud faillit renoncer, mais, de mémoire de Ramousies, personne depuis ses plus lointains ancêtres n'avait reculé devant l'adversité, aussi est-ce forte de plusieurs siècles d'atavisme qu'elle fit front. Sa décision fut vite prise. Melle Ramousies était riche, c'est pourquoi elle pouvait se permettre de travailler bénévolement. Enfin, sa famille était riche, ce qui, pour ces familles-là, revient au même, la caisse étant en quelque sorte commune et c'est ainsi qu'elle avait du pognon plein les poches.

- Venez avec moi, dit-elle en entraînant un Bonny qui se laissait guider docilement.

- ...moi... répondit Bonny.

- Toi au moins, dit-elle, ce n'est pas ta conversation qui va m'assommer. Mais comme ce n'est pas ce qui m'intéresse chez toi... Allons, viens.

- ...viens... répondit Bonny.

     Elle arrêta un taxi en maraude, ouvrit la portière, poussa Bonny sur la banquette et, après avoir remis au chauffeur une petite liasse de gros billets, lui indiqua la marche à suivre. Melle Ramousies était de ces familles où l'on considère comme normal de donner des ordres et de les voir exécuter.

     - Et il va où le petit Monsieur ? S'enquit le chauffeur ( que nous avons reconnu sous le nom de Gaston ) avant qu'elle n'ait prononcé une parole, mais ayant très bien compris qu'elle ne serait pas du voyage, sinon, pourquoi aurait-elle refermé la portière sur l'espèce de fantôme qui occupait la banquette arrière et serait-elle restée sur le trottoir ? C'est que trente années à faire le taxi l'avaient rendu observateur.

     - Vous connaissez un hôtel qui s'appelle « Le Restaurant des Alpes ? »

     Sans trouver d'explication à la chose, Gaston eut envie de pleurer, mais il se retint.

     - C'est un lieu très prisé ces temps-ci, dit-il.

     - Alors, conduisez-y ce monsieur et prenez-lui une chambre. Dites que vous venez de la part de Hildrud Ramousies. Ils me connaissent. Payez une nuit d'avance, je vous ai donné assez pour cela et pour acheter votre silence. Personne ne doit le savoir. Et ensuite, oubliez jusqu'à mon nom.

     - Ça, dit-il en étouffant un rire, ce sera la partie la plus difficile de l'affaire.

     Le taxi une fois parti, elle voulut retrouver son poste, mais on aurait dit qu'une bombe avait éclaté sur les lieux. Que s'était-il donc passé ?

     Pour le savoir il nous faut revenir légèrement en arrière, au moment où, justement, Hildrud abandonnait son poste pour pousser Bonny dans une ruelle à l'éclairage blafard afin de se livrer sur lui à des pratiques que sa morale, jusqu'à ce jour réprouvait. Comme quoi il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas, accordons donc à Melle Ramousies le bénéfice de l'intelligence...

   Quand elle eut tourné les talons, les miséreux, malheureuses, clodos, clodettes, laissés pour compte, trimards, vagabonds, crève-la-faim, déshérités et autres gueux et indigents nécessiteux, sans parler des va-nu-pieds ou leurs plus chanceux semblables, les traîne-savates qui composaient l'ordinaire de sa clientèle, restèrent tout d'abord comme deux ronds de flan, dessert qu'ils eussent aimé se voir servir au menu, puis le plus hardi, ou celui qui avait l'esprit le plus vif, et qui n'était que le plus teigneux, s'avisant que la route était libre et que la surveillance s'était relâchée, donna le mauvais exemple ( mais que peut-on attendre des purotins ?) en se ruant sur la marmite de soupe. Ses compagnons d'infortune lui emboitèrent le pas, un pas souvent chancelant en raison du mauvais alcool ingurgité en grande quantité au cours de la journée, si bien que dans la minute qui suivit, la bagarre était générale, ces derniers prétendant avoir été les premiers arrivés. Ce fut épique. On se poussait, se bousculait, les coups pleuvaient comme au plus fort de l'orage, la plupart d'entre eux atteignant une cible autre que celle qui avait été initialement visée, qu'importait pourvu qu'un concurrent disparût de la circulation. Les flics et la télé en moins, on se serait cru aux plus beaux soirs d'une certaine révolte française de la fin des années 60, le lendemain promettant de ne pas chanter davantage.

     Quand enfin, s'extirpant de la mêlée, ou, devrait-on dire, de l'amas de corps inanimés qui en résultait, une femme maigrelette voulut se servir une assiette de soupe, elle dut faire l'amer constat que le chaudron avait basculé et que son contenu avait filé dans le caniveau où quelques rats et un chien famélique qui avaient attendu leur heure en dissertant sur la condition humaine se régalaient d'une pareille aubaine.

     Dégoûtée, Melle Hiltrud remonta dans son coupé sport et regagna ses pénates. Elle donnait une nuit au bel inconnu pour se refaire une santé. Elle décrocha son portable et appela l'hôtel « Le restaurant des Alpes «  où on lui confirma l'arrivée du sergent Bonny sans que le réceptionniste ne déclinât le nom, la fonction ou le grade de ce dernier qu'il ignorait, mais dont la description suffisait à ne le confondre avec quiconque se serait présenté.

     - Soignez-le aux petits oignons, recommanda-t-elle, et veillez à ce qu'il ne s'échap... qu'il m'attende.

     Melle Hiltrud, en perdant la foi en un Seigneur qui n'avait pas répondu à la seule requête qu'elle lui eût adressé en quarante et trois ans d'existence, ( et l'auteur lève ici le voile sur l'âge exact d'Hiltrud, bien que ceci, paraît-il, ne se fait pas ) avait gagné en exigences sur ce que la vie lui devait, estimait-elle à présent. Elle décida que dès le lendemain matin, le coiffeur, la manucure, l'esthéticienne, l'opticien, les boutiques de luxe s'honoreraient désormais de sa clientèle. Bordel, elle n'avait que trop tardé à s'occuper de ce corps qui ne demandait qu'à s'extirper de son carcan à présent que son esprit s'était débarrassé du sien. Pour commencer elle se fit couler un bain parfumé et s'occupa de son calibristi. Sa main trouva aisément et le chemin et la façon de s'y prendre.

     Nous pouvons te le révéler à présent, lecteur, Hiltrud Ramousies, en dépit d'un nom qui prête à rire, était un véritable canon une fois qu'elle était débarrassée de ses deux armures. Pauvre Bonny, merde, sacré veinard, dommage que tu n'aies pas eu les facultés  intellectuelles qui t'auraient permis de mesurer la chance qui s'offrait à toi.

 

1 août 2014

Chapitre 30... on avance vers le dénouement...

...suite...

30

 

Comme le temps passait et que rien ne se passait, la patience de Winkel arriva à son terme. Lory était partie depuis la veille au soir, il était déjà midi au soleil, c'est à dire quelque chose comme deux heures de l'après-midi à la montre, pour qui en portait une. Certes elle était arrêtée mais c'était le cas de Winkel, aussi eut-il recours à son portable pour connaître l'heure. Il en profita pour former le numéro de son épouse unique et préférée, mais Lory nageait au large à ce moment et ne répondit pas. Winkel insista donc en rappelant toutes les deux ou trois minutes, jusqu'à ce qu'enfin elle décrochât.

- A quoi ça sert d'avoir un portable si on peut pas te joindre ? ! aboya-t-il.

- A ce qu'on puisse me joindre quand je ne suis pas dans l'eau, répondit-elle d'une voix aimable aux syllabes mouillées.

- Tu prends un bain à cette heure ?

- De mer.

- Tu es où ?

- Où es-tu...

- Ben à l'hôtel... J'attends toujours que...

- Non, je voulais dire qu'on ne dis pas « tu es où » mais « où es-tu... »

- Tu me cherches là ?

- Non, apparemment c'est le contraire. Et donc, pour répondre à ta question, je me trouve dans un très joli hôtel en bord de mer qui s'appelle le restaurant des Alpes.

- Original, ça ne m'étonne pas de toi.

- Je n'y suis pour rien. Il appartient à un ancien montagnard qui s'est mis à souffrir de vertige et qui aime faire la cuisine.

- Tu en a appris des choses en si peu de temps.

- J'arrivais pas à dormir, aussi ai-je discuté  une partie de la nuit avec le veilleur. Un homme intéressant. Tu devrais m'y rejoindre. Après tout, tu as un portable, tes hommes pourrons te prévenir s'il y a du nouveau, non ? Au moins l'un d'eux.

Winkel n'eut pas à réfléchir longtemps à la proposition de Lory. Elle tombait sous le sens et puis, il devait bien s'avouer ( il était d'ailleurs la seule personne à qui il avouerait jamais quelque chose, les flics pouvaient toujours attendre...) que Lory lui manquait, son corps tout du moins, et l'usage qu'il en avait. Merde, ça faisait pourtant un bail renouvelable par tacite reconduction qu'il l'avait rencontrée, et s'il devait à nouveau passer aux aveux, il dirait que loin de faiblir, le désir qu'il avait d'elle ne faisait qu'augmenter jour après jour. Avec une autre que Lory, jamais il n'aurait adhéré à cette idée absurde de partir pour l'Europe en laissant vacantes ses affaires. Jamais il n'aurait eu PEUR d'en perdre une autre. Et il en avait perdu plus d'une. Ça lui en avait touché une sans faire bouger l'autre, selon sa propre expression. Mais Lory ! Lory nom de Dieu ! Sans elle il ne serait qu'un « homme d'affaires ( dont la plupart étaient louches) » déprimé. Un homme riche certes, et craint, et envié, mais que valait fortune et pouvoir sans Lory. Le pire voyez-vous, était que Lory ne mentait pas quand elle affirmait se foutre de tout ça. Il aurait dû se sentir flatté qu'elle ne fût pas avec lui pour son fric, n'importe quel homme l'aurait été, mais c'était précisément pour cela qu'il tremblait de la perdre. Le fric, le pouvoir étaient ordinairement de puissants aimants capables de retenir une femme ayant quelque velléité d'envol, mais pouvait-on en dire autant du sexe, cette chose fragile entre toutes. Et que se passerait-il si d'aventure – et cela ne manquerait pas en vieillissant – il se mettait à bander moins dur et moins souvent ? Si le désir peu à peu le désertait, alors que l'attrait de l'argent n'exerçait sur elle aucune influence ?

Il ne pouvait y penser sans en attraper des sueurs froides.

- Je saute dans un taxi et j'arrive, dit-il.

Ce qu'il fit.

- Et il va où le monsieur ? S'enquit le chauffeur de taxi. ( Que nous avons appelé Gaston pour plus de commodité, mais dont ce n'est pas du tout le prénom, nous y viendrons... )

Là, le lecteur se dira que c'est une manie chez les gens de cette profession que de poser cette question. Mais je vous ferai remarquer que rien n'est plus normal à partir du moment où le client, en montant dans le taxi à oublié de donner sa destination et s'est contenté de lui demander s'il était libre, évidence qu'il aurait  remarquée s'il s'était donné la peine d'y réfléchir une seconde.

- Oui, lui répondit Gaston. Depuis que ma femme m'a quitté. Et vous pouvez pas savoir ce que ça fait du bien. Au début, j'ai flippé, comme tout un chacun, la peur de la solitude, tout ça. Mais au bout d'un moment on s'y fait et ensuite on se remaquerait pour rien au monde. Surtout quand on s'est fait dépouiller lors du divorce. Vous êtes marié ?

- Oui... Pourquoi cette question ? Tout ce que je vous demande c'est de vous mêler de vos affaires, c'est à dire de me conduire à destination.

- Ah ! Je ne demande pas mieux, répondit Gaston ( ou quel que fût son nom ). Et c'est là qu'il ajouta la fameuse phrase «  et il va où le monsieur ? » Comme quoi tout est logique dans cette histoire.

- Vous connaissez un hôtel qui s'appelle le Restaurant des Alpes ?

- Sûr que je connais. On dirait que tout le monde s'y est donné rendez-vous. J'y ai pas conduit un client en dix ans et voilà t-y pas qu'en quelques jours j'y ai emmené un jeune nègre et sa poule et une jeune femme qui venait de quitter son mari. C'était pas plus tard qu'hier. Je lui ai même proposé de lui fournir un avocat.

- Et elle était comment cette jeune femme, si c'est pas indiscret ?

- Ça l'est, mais je vais quand même vous dire. Elle était comme ci et aussi comme ça. ( Là, s'ensuivit une longue et précise description que nous épargnerons au lecteur qui connaît déjà Lory et qui fit dresser les cheveux sur la tête de Winkel. C'était à croire qu'elle lui avait fait un strip-tease.) Bordel, rarement vu une telle beauté ! Merde, si j'étais son mari, jamais je la laisserais partir. Je me roulerais à ses pieds.

- Je croyais que vous étiez heureux de vous retrouver seul ?

- Ah ! Ça oui ! Mais c'est parce que vous ne connaissez pas mon ex femme. Vous prenez tout ce que je viens de vous dire sur la jeune personne, eh bien c'est exactement l'inverse, si vous voyez ce que je veux dire.

- Et elle vous a dit qu'elle voulait divorcer ?

- Non seulement elle l'a dit, mais elle l'a fait ! Et comment !

- Je voulais parler de Lo..., de la jeune personne...

- Pas précisément, non, mais enfin, on sentait bien qu'elle était pas heureuse. Putain, merde, j'aurais dû tenter ma chance... mais pourquoi ça vous intéresse ?... fit Gaston avant de comprendre. Oh ! Merde ! Faites excuse mon Prince ! C'est tout moi ça, de mettre les pieds dans le plat ! Mais aussi, quelle idée que le monde soit si petit ! Ce que j'en disais, hein, c'est pas contre vous, au contraire. C'est une sacrée bonne femme que vous avez là ! J'espère que vous allez la garder. Heu... j'en suis sûr... Après tout, à y bien réfléchir, elle avait pas l'air si malheureux que ça, peut-être un peu en colère, mais ça arrive ces choses-là entre époux, hein, c'est pas grave, ça passe, même que ça peut être encore meilleur après et tout ça...

Bref, le temps que dura cette conversation suffit au taxi pour arriver à destination.  Et c'est tout ce que souhaitait Winkel, sinon qu'il se taise enfin et que Lory n'ait pas en effet l'idée aussi sotte que grenue de demander le divorce.

- Au fait, dit Winkel en payant le taxi, vous m'avez pas dit que vous avez pris en charge un jeune noir et...

- Ouais, tenez, c'est eux, là ! Fit-il en désignant le couple qui se dirigeait vers la plage, au bord de laquelle se trouvait la mer, comme c'est souvent le cas.

- Et vous avez un peu parlé avec eux ?

- Ben, vous savez c'que c'est, quand on est taxi on aime bien causer aux clients, sinon on est toujours tout seul et...

- Et vous avez causé de quoi ?

- De choses et d'autres, vous savez bien...

- De moto par exemple ?

- De moto ? Non, pas que je me souvienne. Pourquoi, c'est important ? Vous les connaissez aussi ?

- Je ne sais pas encore. Sinon on fera connaissance.

- Vous êtes quand même un drôle de type...

- C'est possible... oui c'est bien possible... dit Winkel, mais c'est à lui-même qu'il s'adressait et ce n'est pas à ce que croyait le taxi qu'il pensait. Ce serait quand même extraordinaire, ajouta-t-il.

- Eh bien, que Winkel, Lory, Jonas et Cyndy se retrouvent dans cet hôtel du bord de mer, ça l'est, mais ça n'étonne pas l'auteur qui depuis un moment s'en doutait un peu.

Ça vous étonne ?

 

31 juillet 2014

Chapitre 29

...suite...

 

29

 

Nous étions, Cyndy et moi, installés confortablement dans des transats à profiter de la douceur d'une nuit aussi parfaitement étoilée qu'en rêverait un amateur de nuits étoilées, nous nous tenions par la main en souriant comme les deux imbéciles heureux que nous étions, heureux surtout car je ne sache pas que Cyndy fût une imbécile, ni moi non plus, mais il ne s'agit là que d'une figure de style. Si j'avais écrit en effet « comme les heureux que nous étions », et bien que ce ne fût que la juste expression de la vérité, cela aurait par trop manqué d'euphonie et le lecteur n'aurait pas manqué de faire la grimace. Comment, aurait-il dit, après quelque trois-cent quarante pages d'un style si pur, sans bavure aucune, l'auteur a-t-il pu se laisser aller à une telle négligence ? Cette phrase aurait été comme un méchant bouton sur le nez d'une star. Sur un visage ingrat, constellé de pustules et farci de points noirs, tels qu'on les trouve chez la femme ordinaire, un bouton en particulier ne se remarque pas, alors que sur un visage parfait, à la peau lisse et délicate, soignée, calamistrée, la moindre petite excroissance de chair, la plus infime rougeur se transforment en catastrophe, peuvent ruiner sa carrière et font fuir le clampin.

Bref, nous étions là, profitant de la brise légère que la mer poussait dans notre direction, tout à notre intention aurait-on dit, puisque nous étions seuls à profiter de l'aubaine, les autres clients de l'hôtel vaquant à d'ordinaires occupations nocturnes comme ronfler ou chasser les moustiques, pour ne pas évoquer celles sur lesquelles il est recommandé de jeter un voile pudique afin de préserver l'innocence des enfants qui tomberaient sur ce texte. Notre quiétude aurait été parfaite si les soupirs d'un couple sans scrupules ne nous étaient parvenus par la fenêtre de leur chambre restée ouverte afin que nous ne perdions rien du moindre détails de leur déduit. Il paraît que certains aiment écouter aux portes ou pire, assister aux ébats amoureux des autres, des gens qui ont l'oreille hardie. Ce n'est pas mon cas et si c'était une invite à les rejoindre, c'était sans espoir car nous étions, Cyndy et moi, loin d'avoir épuisés la totalité des potentialités de nos amours naissantes pour y répondre favorablement. La femme ne cessait de hurler d'une voix rauque, entre deux oui oui encore, qu'elle avait envie de se faire enfiler par la grosse queue du beau jeune noir qui était sur la terrasse et l'homme qu'il se taperait bien la salope blonde qui l'accompagnait. Je pouvais le comprendre, mais je n'étais cependant pas d'accord avec lui : Cyndy n'était pas une salope. Et ce n'était même pas une vraie blonde. Et puis, que savait cette femme sur la taille de mon membre ? Je vous le demande. Ce n'était de sa part qu'une hypothèse basée sur des on-dit, une réputation dont souffrent les gens de ma couleur et qui leur font le plus grand tort quand il s'avère que celui-ci se situe dans une moyenne, certes honorable, mais avec lequel il n'y a tout de même pas moyen de confectionner un mat de cocagne, comme si nous étions responsables de ce manque à gagner en hauteur, voire en grosseur.

Bref, nous en étions là, à écouter en riant (jaune ) les propos de nos indiscrets voisins, quand est arrivé un taxi. La jeune femme qui en descendit avait l'air en colère et c'était fort dommage, car elle était jolie, mieux que ça, elle était superbe et, contrairement à ce qu'on prétend, la colère n'a jamais rendu quelqu'un plus beau, non, la colère vous tire les traits, creuse vos rides, durcit votre visage, en un mot vous fait paraître méchant alors que vous n'êtes peut-être que malheureux.

C'était une heure bien tardive pour prendre une chambre d'hôtel, – nous avions laissé la mi-nuit loin derrière nous – aussi fûmes-nous suffisamment intrigués pour oublier quelques instants les tourtereaux qui, au-dessus de nous, offraient à qui voulait l'entendre les détails du programme qu'ils nous réservaient si toutefois nous décidions de répondre à leur demande. Et le programme était plus chargé qu'un cargo battant pavillon de complaisance. Moi qui était novice en la matière, ignorait que l'on pût, en une seule nuit, trouver et dépenser plus d'énergie qu'il en faut généralement en une année de dur labeur. Sans compter les courbatures résultant des acrobaties que préconisaient ce couple pour le moins imaginatif.

- Tu as encore beaucoup à apprendre, me glissa Cyndy l'air gourmand devant ma mine étonnée.

- Je ne demande pas mieux, mais ce sera sans eux... Si tu veux bien, j'aimerais que tu demeures mon seul professeur.

- Tu veux qu'on essaie quelques uns des trucs qu'on a entendus?

- Tout de suite ?

- Si tu te sens en forme...

- Oui, mais il est tard...

- Jamais trop pour ces choses-là, mon minet.

Nous nous sommes donc désintéressés de l'arrivante et sommes allés en essayer un ou deux, et comme j'apprends très vite et que je retiens tout, ainsi que je vous le disais au début de ce récit, nous en avons testé encore quelques uns, jusqu'à épuisement, alors qu'un soleil tout neuf se levait sur une mer d'huile, et comme ni Cyndy ni moi-même n'apprécions particulièrement d'avoir la peau grasse, nous nous sommes endormis jusqu'à ce que l'océan ait enfin retrouvé l'eau qui est son élément naturel. Ce qui a pris la matinée et une partie de l'après-midi.

28 juillet 2014

Chapitre 28

Suite...

 

28

 

D'un pas décidé Lory quitta l'hôtel sordide où ce fou de Winkel voulait lui faire passer la nuit. Deux nuits même ! Elle n'était pas bégueule, mais tout de même, il y a des limites !

Elle ne fit pas plus de dix pas dans la rue avant de trouver un taxi.

- Et elle va où la petite dame ? Demanda celui-ci. Enfin, nous voulons dire le chauffeur, car il est bien connu en effet que les taxis ne demandent jamais rien. Si les voitures parlaient ça se saurait.

Lory détestait qu'on l'appelle ma petite dame, elle détestait ce ton paternaliste, aussi lui répondit-elle sèchement que si on le lui demandait il dirait qu'il n'en savait rien.

- Moi je veux bien, mais c'est pas comme ça que je vous conduirai à destination, fit-il du ton blasé de celui qui en a entendu d'autres.

Lory savait reconnaître quand une réflexion était frappée au coin du bon sens, aussi fit-elle amende honorable.

- Pardonnez-moi, dit-elle je viens de m'engueuler avec mon mari et je suis un peu à cran...

- Ah ! L'amour ! L'amour ! Déclama le chauffeur qui avait des lettres, ( dont certaines étaient d'amour également, ce qui peut-être l'inspira ) ce mot traîne dans bien des bouches, mais qui est assez grand pour vivre ce qu'il implique ?

- Vous connaissez Charles Juliet ? S'étonna Lory.

- Un des plus grands poètes français contemporains... lâcha-t-il dans un souffle lyrique. Je l'ai à mon chevet.

- Vraiment ? Vous me le présenterez ?

- Ah ! Ma petite dame, je voudrais bien, malheureusement ce ne sont que ses œuvres, mais j'ai ouï-dire que l'auteur le connaissait bien, adressez-vous à lui.

 - Mais je ne connais pas l'auteur !

 - Regardez sur la couverture, son nom y figure à coup sûr. Son éditeur transmettra votre lettre.

 - C'est une idée. Je m'y pencherai dès que cette histoire sera finie.

 - Et à part ça, elle va où la petite dame ?

Le lecteur n'aura pas été sans remarquer que c'est la troisième fois que le chauffeur de taxi, que nous appellerons Gaston par commodité, que Gaston donc, désignait sa cliente, que nous appellerons Lory car elle s'appelle Lory, désignait Lory donc par « ma petite dame » et que si elle avait pris la mouche la première fois, elle ne releva pas les deux suivantes. Nous avons là un exemple frappant de ce que la poésie est capable de produire sur les âmes. Remercions-là et poursuivons.

- Je ne sais pas, dit-elle, pouvez-vous me conduire à un bon hôtel ? Quelque chose d'agréable, en bord de mer par exemple. Et qu'importe le prix, c'est mon mari qui paye.

- Je pense avoir ce qu'il vous faut, ma petite dame. Parfait si vous avez besoin de prendre un peu de recul, réfléchir à votre situation, appeler votre avocat pour le divorce et toutes ces choses.

- Mais je ne compte pas divorcer...

- Oui, oui... c'est ce que disait ma femme avant de me dépouiller après que j'ai gagné le gros lot au loto... Votre mari est riche ?

- Oui, très, mais je ne vois pas...

- Et il est vieux ?

- Oui... enfin non, pas tant que ça... Et puis quelle importance ?

- C'est aussi ce que prétend la femme de l'auteur, mais comme il est pauvre, elle n'a pas vraiment de raisons de le quitter... nous verrons bien ce qui va se passer si d'aventure ce livre marchait... En attendant, si vous avez besoin d'un bon avocat, j'en connais un...

- J'ai pourtant cru comprendre que vous aviez perdu...

- Je voulais parler de celui de ma femme...

Pendant que se déroulait cette intéressante conversation, le lecteur aura eu le loisir de réfléchir. Et nous supposons qu'il lui est venu en tête une certaine idée. Et il aura eu raison. Levons donc le suspense. Oui, tu as reconnu, lecteur, chez ce chauffeur de taxi, celui-là même qui a conduit notre héros, Jonas et sa compagne dans un hôtel des bords de mer. D'un bord en tout cas. Car, en effet, si l'on veut bien regarder les choses en face, la mer ne possède qu'un bord, qui en fait le tour. L'expression « les bords de mer » est donc inappropriée, sujette à caution, caution dont nous ignorons le montant et que nous ne sommes prêts à régler que si nous avons la certitude qu'elle nous sera reversée intégralement dans le cas probable où nous la rendrons ( l'expression ) en aussi bon état que nous l'avons trouvée.

Passons donc, si vous le voulez bien, au chapitre suivant, nous aurons tout loisir d'y retrouver Lory.

25 juillet 2014

Chapitre 27

suite...

 

27

 

Le problème avec Diener n’était pas tant ses compétences, qu’on ne pouvait mettre en doute, que sa servilité, la trouille que lui inspirait Winkel et qui risquait de lui interdire toute initiative.

C’est pourtant à lui que revenait la gestion des affaires en l’absence de son patron. Et ce n’était certes pas fait pour rassurer ce dernier. Ni le premier d’ailleurs.

«  Détends-toi Winkie. Tout se passera bien ! Profite de la route. Regarde comme c’est beau ! »

- Je ne sais pas comment tu fais pour être aussi détendue. On voit bien que ce n’est pas toi qui porte le poids de mes entreprises...

- Et pour cause. Il faut n’avoir vraiment rien à faire de sa vie pour avoir envie de brasser des affaires. Je ne connais rien de plus barbant.

- Eh bien, c’est ça, ce que je fais de ma vie. Et moi ça me convient. Je ne sais rien faire d’autre.

- C’est bien ce que je disais.

- Est-ce que je ne sentirais pas comme une pointe d’ironie qui se serait glissée entre tes mots ?

Lory redressa son siège, s’étira, bâilla, puis elle ouvrit grand la vitre et laissa ses cheveux flotter dans le vent, la tête passée à la portière.

Quand elle reprit sa place elle était tout échevelée, radieuse :

« Dis moi, Winki, ça fait combien de temps qu’on a pas fait un petit voyage en amoureux, toi et moi ? »

- En amoureux ? ! Je te signale que nous ne sommes pas précisément en voyage de noces ! 

- Oh ! là là ! Tu sais que tu es doué pour casser les ambiances ! T’es vraiment pas marrant comme mec !

Elle replia ses jambes sur le siège et entoura ses genoux de ses bras. Bouda (parce que Bouddha sans ce contexte ne voudrait rien dire. N.D.A. ) pendant deux ou trois kilomètres puis elle demanda où ils allaient dormir, si toutefois il avait pensé à ça avant de partir, réserver une chambre d’hôtel.

- Je crois pas que j’aurai le temps de dormir, j’ai d’autres chats à fouetter. Tu n’auras qu’à faire les boutiques.

- J’aime pas faire les boutiques.

- Qu’est-ce que tu racontes. Toutes les femmes aiment faire les boutiques.

- Tu m’as déjà vu faire les boutiques ?

- Non, mais je ne sais pas ce que tu fais quand tu n’es pas à la maison. Je ne te surveille pas.

- Encore heureux !

- Alors, de quoi te plains-tu ? Après tout, c’est toi qui a tenu à m’accompagner. Prends tes responsabilité, pour une fois. Mais j’aurai vraiment pas le temps de m’occuper de toi. Si tu veux vraiment qu’on fasse ce voyage, faut me laisser régler ce petit problème. Je ne peux pas me permettre de t’avoir dans les pattes. Et comme je te l’ai déjà dit, ça peut être dangereux.

- Mais pourquoi tu ne laisses pas tomber, à la fin ? C’est si difficile pour toi d’envisager d’avoir perdu une bataille ?

- Il ne s’agit pas de ça. Bon sang, Lory, depuis le temps, tu devrais savoir que si on apprend que je me suis fait avoir par un minable et que je n’ai pas réagi, j’ai plus qu’à mettre la clé sous la porte. Ils vont venir à la curée.

- Je sais. C’est exactement comme ça que tu as réussi. Mais ça serait pas une si mauvaise idée, j’arrête pas de te le dire. Après tout, tu as monté des affaires honnêtes, non ? Laisse tomber les autres.

- Tu te trompes. Il n’y a pas d’affaires honnêtes. Pas à ce niveau. Tu crois vraiment qu’on brasse des millions en ayant un comportement d’enfant de chœur ? Alors oui, j’ai pignon sur rue, mais un tas de gens autour de moi sont compromis dans des affaires de pots de vin, de trafics d’influence et j’en passe... des politiques, tout ça... et c’est moi qui les ai compromis. Je suis forcé de continuer, même si je ne le voulais pas. Je t’ai toujours tenu à l’écart, parce que...

- Parce que tu n’as confiance en personne ! C’est triste. Tu n’as pas d’amis Winki. Je suis la seule...

- C’est bien pourquoi j’ai accepté de partir faire ce voyage, même si c’est de la folie. Mais je ne sais pas du tout dans quel état je retrouverai tout ça en rentrant. Je serai tout de même obligé de me tenir au courant de temps en temps. Il y a des choses, des ordres que moi seul peut donner et des signatures que je suis censé être seul à pouvoir apposer sur certains documents.

Il donna un coup de volant pour éviter un drone qui venait droit sur son pare-brise, mais ce n’était qu’un journal qui volait sur la route, ses mauvaises nouvelles et ses filles nues déployées dans l’air lourd et opaque.

- Ne sois pas si nerveux ! fit Lory.

- Il y a de quoi, non ? Personne ne comprendra que je m’absente aussi longtemps. Ils peuvent croire n’importe quoi, que je suis malade, je ne sais pas, et là aussi on préparera ma succession sans me demander mon avis.

- Bordel Winki ! Je me demande ce qui t’anime ! Quand tu vas crever il ne restera rien de toi ! Le moindre chanteur de variétés restera plus longtemps dans les mémoires ! Et pas plus après ta mort que de ton vivant tu ne susciteras le respect. Qu’est-ce que tu cherches ? Qu’est-ce que tu espères ? La notoriété posthume d’un Al Capone ? Joli projet ! Tout le monde sait que c’était un enfoiré et un inculte ! Et qui a fini lamentablement, comme le sac de merde qu’il était. Regarde les choses en face, Winki. Tu es riche, tu m’as, moi. On pourrait vivre comme des dieux, sans se préoccuper des uns et des autres, ne plus craindre pour notre vie, parce que tu sais très bien que je suis un enjeu, et les autres en face, comme tu les appelles, le savent aussi, et moi, tu crois que ça me réjouit  pas de savoir que je peux être l’enjeu d’un chantage ? Non, Winki, ça me réjouit pas d’imaginer que des types peuvent m’enlever pour faire pression sur toi, me torturer peut-être, me violer à coup sûr et sans doute m’exécuter. Tu crois que c’est une vie ? Tu crois que c'est ce que j’imaginais quand j’étais adolescente ? Bon sang, Winki. Si j’avais le moindre bon-sens, je te demanderais d’arrêter ici la voiture, je descendrais et je ferais du stop. Je m’éloignerais de toi le plus et le plus vite possible. Et je ne sais franchement pas ce qui me retient de le faire !

Winkel appuya sur le frein, Lory faillit se prendre le pare-brise :

- Mais tu es dingue ! hurla-t-elle.

- Descends de là ! dit Winkel la voix blanche.

Lory ne réfléchit même pas, elle empoigna son sac à main et bascula en-dehors du véhicule et de toutes ses forces claqua la portière.

«  Va te faire foutre ! » cria-t-elle.

Winkel démarra en trombe, laissant sur le bitume une trainée de gomme longue comme un discours de dictateur. Et ça hurlait tout autant.

Cent mètres plus loin il s’arrêta. Non que sa colère se fût éteinte, mais où irait-il trouver une baiseuse à la hauteur de Lory ?

Il se pencha par-dessus le siège et donna une poussée à la portière passager qui se mit à battre comme une aile d’oiseau, quoique l’image n’est pas si juste puisqu’il semble à l’auteur, et bien qu’il n’y connaisse rien en matière ornithologique, que les oiseaux ne battent pas des ailes verticalement et d’avant en arrière, mais c’est pour dire. ( Sinon, peut-être, les colibris, capables de voler sur place, tels les colibris-abeille, - le plus petit oiseau du monde - espèce qui ne vit qu’à Cuba, raison sans doute pour laquelle ils ne s’en évadent pas et n’ont pas colonisé d’autres continents.)

Lory passa à côté de la voiture, le pas digne et le regard portant sur la ligne bleue de ce qui servait de Vosges dans ce pays, c’est à dire quelques dunes qui élevaient l’horizon à un mètre du sol. Winkel attendit qu’elle ait parcouru une cinquantaine de mètres avant d’avancer à son tour. Il lui parla par la portière ouverte :

« Allons, Lory, monte ! Merde, on va pas se fâcher ! »

Pour toute réponse, Lory pointa son majeur vers le ciel, vide, heureusement comme on sait, de toute présence capable de comprendre ce signe. Sinon, peut-être, la foudre s’en serait-elle servi de paratonnerre et l’aurait-elle grillée jusqu’aux doigts de pieds. Lesquels n’étaient chaussés que de ballerines peu adaptées à une longue marche. Bien des histoires ne tiennent qu’à de si infimes détails. Aussi bouda-t-elle – ( voir p. 192 ) on a sa dignité – pendant encore quelques centaines de mètres.

«  Et pas de commentaire ! » grinça-t-elle en s’installant sur le siège et en claquant à nouveau la portière, mais cette fois vue de l’intérieur.

Winkel se garda bien de contrevenir à cette injonction. Il se contenta de sourire. Lory savait qu’il souriait et se garda bien, de son côté, d’y faire la moindre allusion. Nous avons là un modèle typique des engueulades qui se produisent dans les couples les plus soudés et de la façon dont ils finissent par se réconcilier. Surtout quand le cul, de part et d’autre, est le lien le plus fort qui les unit. Le plus souvent, les couples d’« intellectuels » ne font qu’aggraver les choses jusqu’à la rupture, quand une bonne séance de baise aurait apaisé les esprits en même temps qu’elle détend les corps. Ce ne sont pas Sartres et Beauvoir qui me contrediront et quant à Tristant et Iseut, ou les tristement célèbres Roméo et Juliette, pour ne citer que ces quatre-là, ils sont le consternant exemple de ce qu’il advient lorsqu’on se refuse les incomparables plaisirs du déduit et qu’on leur préfère l’écœurante poésie romantique. Nous épargnerons dans notre analyse Cyrano de Bergerac, eu égard aux admirables vers d'Edmond Rostand, et nous pardonnerons à ce naïf de Cyrano qui ignorait – la science étant ce qu’elle était à l’époque - qu’un long nez est à l’image du pénis et que s’il eût exhibé ce dernier, son nez eût, comparativement, paru plus court aux yeux émerveillés de la belle Roxane et qu’il est probable qu’elle eût accepté, voire exigé, qu’il se servît de l’un comme de l’autre afin de lui faire reluire le calibristi.

Certes, certes, me direz-vous, mais dans ce cas nous n’aurions pas eu l’admirable pièce que nous connaissons tous ( et avec ce «tous» je place d’emblée mon lecteur parmi les connaisseurs, c’est dire combien je le respecte ). Je vous ferai cependant remarquer que c’est bien possible, mais que pour une fois Cyrano aurait tiré son coup, (depuis le 28 décembre 1897 qu’il est frustré !) et ça, c’est pas donné à tous les héros romantiques.

Mais pour en revenir à notre couple beaucoup moins médiatique (mais beaucoup plus intéressant dans ce roman) que ne le sont Tom Cruise et John Travolta, unis par les liens sacrés de la scientologie, disons que Lory finit tout de même par offrir un sourire à Winkel en même temps qu’elle lui pétrissait l'entre-jambes. Sa colère, bien que passagère – comme elle l’était elle-même puisqu’elle ne conduisait pas – l’avait terriblement excitée, si bien qu'elle ressentait une forte envie que Winki lui fasse reluire le calibristi, juste pour faire la nique à Cyrano, qu’elle enrageait de n’avoir pas connu.

Winkel ne se le fit pas dire, ni tâter deux fois, pas même une. Entre eux, et contrairement aux gestes, les paroles comptaient pour du beurre, lequel manquait cruellement eu égard à l’usage que Winkel en aurait fait s’il en avait disposé. Il n’avait pas besoin d’avoir vu «Le Dernier tango à Paris» pour savoir que la vaseline ne fait pas tout dans la vie amoureuse. Il gara la voiture sur le bas-côté et entreprit aussitôt celui de Lory qui s’offrait à : 1/ sa vue, 2/ ses mains, 3/ sa bouche, 4/ pire, à savoir le côté pile, qui se trouve être, au choix, celui que  tu désires, pervers lecteur.

Nous ne sommes pas dans un roman interactif, mais sache, lecteur que tu peux décider ici que :

1/ Winki lui  suce, lèche, titille de la langue le clitoris et les parties adjacentes tout en lui introduisant un ou plusieurs doigts dans le trou du cul.

2/ Lui suce, lèche, titille de la langue le trou du cul et les parties adjacentes tout en lui introduisant un ou plusieurs doigts dans la chatte.

3/ Lui suce, lèche, titille de la langue le bout des seins tout en lui introduisant un ou plusieurs doigts dans le trou du cul et la chatte. ( Et je te laisse imaginer la position qu’il doit adopter pour cela.)

4/ Se met à genoux et tout en lui pinçant le bout des seins d’une main se fait tailler une pipe d’enfer sans oublier de lui titiller le trou du cul et la chatte de sa main libre.

5/ La sodomise après lui avoir sucé, léché, titillé le trou du cul et la chatte. ( Et la tête de Lory cogne avec régularité contre la portière.)

6/ La baise après lui avoir etc... (Et la tête de Lory cogne avec régularité contre la portière.) ne nous répétons pas, une pornographie efficace en littérature ayant besoin de simplicité.

7/ Fais preuve d’un peu d’imagination et laisse-moi poursuivre mon récit...

... disons qu’ils en ont terminé et qu’ils reprennent la route, beaucoup plus détendus que nous les avons trouvés au début de ce chapitre, Lory souffrant cependant d’une légère migraine. En effet, Baby Max et Georg ne vont pas attendre éternellement. Ou peut-être que si, mais on a besoin, dans un polar, que les choses avancent de temps à autre, entre les considérations philosophiques des protagonistes et les parties de jambes en l’air auxquelles ils ne manquent pas, en général et par un principe propre au genre, de se livrer. Qui n’a jamais lu Le Grand Sommeil ou l’une ou l’autre des aventures de Philip Marlowe ou du Sam Spade de Hammet, ne connaît rien à l’affaire. Mais faites-moi confiance, je sais de quoi je parle, ayant lu l’un et l’autre.

Bref.

Lorsque Lory et son Winky en ont terminé de leurs ébats, ils sont quelque peu courbaturés. (Sans compter la légère migraine de Lory...) Je ne sais pas si vous avez déjà tenté ce genre d’exercice à l’avant d’une voiture, fût-elle confortable, mais nous pouvons vous affirmer, par expérience, que ce n’est pas de la tarte. Contrairement à leurs voisins de derrière, les sièges avant n’ont pas été conçus à cet effet. D’abord, ne craignons pas de le dire, il est scandaleux qu’ils soient séparés d’une dizaine de centimètres et, qu’émergeant de cette séparation, pointe le levier de vitesses. Certes, ce dernier peu se révéler un partenaire intéressant pour les amoureux sachant faire feu de tout bois, néanmoins, votre prestation se paiera de torticolis, de luxations d’épaules ou de genoux et de coups de coudes douloureux dans le tableau de bord. Sans parler du volant qui risque fort de vous endommager les vertèbres dorsales lors d’un coup de reins particulièrement énergique.

Mais jetons un voile pudique sur de telles pratiques qui ne font que nous éloigner de notre sujet, quand elles ne risquent pas de traumatiser notre naïve et pure jeunesse. (Nous parlons de celle, inconnue de nos services, qui n’a pas accès à internet.)

Bref.

Bien que courbaturés, (et légèrement migraineuse pour Lory) nos deux héros n’en avaient pas moins encore une centaine de bornes à se taper. Contingence qui ne les empêcha nullement de trouver à maintes reprises un coin tranquille où se livrer à des activités sur lesquelles nous jetterons de nouveau un voile pudique, (faisant ainsi prospérer de façon significative les marchands de tissu à voile, dont nous nous sommes laissé dire que certains marchaient aussi à la vapeur...) et qui aggravèrent de façon substantielle la migraine de Lory. De vrais gosses, incapables de contenir leurs pulsions.

Mais bref, Nous ne sommes pas là pour juger, Les ligues de vertu font ça très bien sans notre secours.

Mais sachez que c’est ainsi que Winkel et Lory arrivèrent en vue de Port-Cinglant tard dans la nuit, alors qu’ils n’étaient partis qu’avec quatre heures de retard sur l’horaire prévu et que le maquillage et poudrage de nez qui avaient nécessité ces quatre heures furent l’un comme l’autre réduits à néant. Mais enfin, me direz-vous, qu’est-ce que quatre heures quand une vie en compte (en année grégorienne) 8765 et des poussières par an, c’est à dire 701200. ? Eh bien cela représente 1/175300ème d’une vie de 80 ans.

C’est dire à quel point ces heures sont précieuses et qu’il convient de n’en point gaspiller ne serait-ce qu’une seule en, par exemple, repoudrage de nez lorsque cela n’est pas d’une nécessité absolue. Et quand l’est-ce  vraiment ?, je pose la question. Jamais d’un point de vue masculin. Maintes fois par jour d’un point de vue féminin, c’est dire si les deux sexes principaux qui forment notre humanité ne sont pas prêts de se comprendre. Écartons toutefois de ce triste constat l’auteur de ces lignes et sa compagne qui n’emploie jamais de maquillage, évitant à ce couple exemplaire, par la grâce de cette attitude responsable, disputes inutiles et perte de temps, ce dernier étant consacré aussi souventefois que possible à ces jeux intimes dont raffolent les amants passionnels et sur lesquels nous tirerons le rideau, l’auteur n’ayant aucun goût pour dévoiler son intimité au premier lecteur venu et quand bien même est-ce une mode assez répandue chez ses confrères.

Mais bref, bref et bref.

Winkel qui n’avait aucun sens de l’orientation arriva cependant sans encombres ni détours inutiles jusque devant « Le Marin Pécheur » et ce par la grâce du GPS dont était équipée à l’origine sa luxueuse voiture. Remercions l’inventeur de cet utile gadget (en l'occurrence le Département de la Défense Américaine) qui nous évite ainsi plusieurs pages d’errance.

Dire qu’il envisageait sereinement de laisser son véhicule sans surveillance dans cette ruelle sombre et mal famée serait exagéré. Heureusement pour lui, une petite frappe répondant au nom de Al, épaulé dans sa tâche par les membres de sa bande, avait mis le quartier sous bonne garde. Il ne semblait pas en très grande forme, mais il proposa ses services à un Winkel ravi de les accepter, moyennant un bon gros billet tout de suite et la promesse du même plus tard s’il retrouvait son bien tel qu’il l’avait laissé. L’autre promesse que fit Winkel tenait en quelques mots : « Si tu merdes, petit, je te poursuivrai jusqu’en enfer. » Et voilà comment, de désœuvré qu’il était (vice qui avait contribué à faire de lui le petit voyou qu’on connaît) Al se trouva soudain surbooké, comme on dit dans le monde des affaires, et riche de plus de billets (réels et virtuels) qu’il n’en avait jamais rêvé.

C’est avec un enthousiasme peu flagrant que Lory suivit Winkel dans le bouge où Baby Max et Georg étaient censés avoir établi leurs pénates, si c’est avec un plaisir non dissimulé que le gérant suivit lui, la progression de lory dans le couloir, se tordant le cou et manquant se faire un tour de reins en tentant de voir si, sous sa jupe courte, elle portait ou non une culotte. Elle n’en portait pas, ou plutôt, elle n’en portait plus pour l’avoir abandonnée sur la banquette de la voiture afin de pouvoir s’adonner sans retenue à ces ébats que nous avons relatés et sur lesquels nous avons pudiquement jeté un voile après l’autre au cours de ce récit.

Mais que ceci ne nous empêche pas de poursuivre. Laissons les gérants de boui-boui libidineux à leurs phantasmes et convenons qu’un simple regard ne saurait véritablement faire de mal. Ni de bien d’ailleurs. Ce qu’il manque au regard c’est le toucher, chacun de nos cinq sens n’ayant qu’une fonction.

Ne tenant pas à se retrouver avec un pistolet sur la tempe, Winkel frappa avant d’entrer. Il alla même jusqu’à attendre que Baby Max vienne lui ouvrir mais, à sa surprise, ce fut Georg qui l’accueillit. Une femme était allongée aux côtés de Max. Charlène, mais Winkel ignorait que ce fût elle puisqu'il ne la connaissait pas. Une pute, pensa-t-il, ce qui l'étonna beaucoup venant de Max, mais bon. Baby Max était lui-même allongé sur son lit, à côté de cette femme, et jouait avec une figurine en plastique représentant Schreck. Il lui enlevait et remettait une sorte d’écharpe porte-bébé, et chaque fois une voix nasillarde s’échappait de la figurine et cette voix disait : GRRrrr ! Mein Kleinermann ! ce qui provoquait chez Max un rire gras. Quant à savoir où Baby Max s’était procuré la figurine, c’est encore un de ces mystères qui entourent notre récit car, la dernière fois que nous l’avons vu apparaître, souvenez-vous, c’est Marty qui jouait avec. Mais peut-être s’agit-il d’une autre figurine, après tout elles ont été fabriquées en de multiples exemplaires. Le fils de l’auteur, par exemple, en possède une. Et ça l’amuse beaucoup, mais à deux ans on peut le comprendre.

« Il y a eu un transfert, annonça Georg avant que Winkel n’ait pu ouvrir la bouche. Faites comme si j’étais Max. Tout va bien, patron ? »

- Un transfert ?

- Cherchez pas à comprendre. Je crois que l’auteur a eu envie de s’amuser. Faisons comme si nous ne nous étions aperçus de rien.

- Okay ! Où en êtes-vous dans vos recherches ?

- On attend des infos. On a lancé le mot dans le quartier et on y a laissé pas mal de fric. Mais trouver ce type c’est comme chercher un noir dans une manifestation contre le racisme. Notre chance la plus probable tient dans une petite frappe du nom de Al…

- Tu veux parler d’un petit gars tout amoché entouré d’une bande de…

- Ah ! je vois que vous avez fait connaissance…

- Il garde ma bagnole…

- Ouais, c’est à peu près tout ce qu’il sait faire. Il se trouve qu’il garde aussi la moto - si on peut appeler ça une moto- de notre nègre, et que ce dernier va bien finir par venir la récupérer. En tout cas on l’espère. Et à ce moment nous n’aurons qu’à lui mettre la main dessus. C’est une question de temps.

- Combien de temps ?

Qui saurait le dire ? Il faudrait sauter quelques chapitres et aller voir plus loin... Mais nous n'avons ni vous ni moi de temps à consacrer à la lecture.

- C'est juste. Merde, j’arrive pas à m’habituer…

- A quoi ?

- A toi… qui parle comme… mieux encore que Max…

- Vous en faites pas, patron, ça passera peut-être. Moi aussi au début ça m’a fait bizarre, j’avais l’impression d’être un autre, mais on s’y fait. C’est vrai que je me sentais mieux avant. Enfin, je veux dire que je ne me sentais pas du tout. C'était confortable, intellectuellement parlant.

- Oui, bon... alors, dis-moi, à présent que tu penses, qu'est-ce que tu me conseilles de faire ?

- Si j'étais vous – mais ce n'est qu'une hypothèse, parce que c'est déjà pas facile d'être Max – je retournerais d'où je viens et j'attendrais que j'ai réglé l'affaire.

- Si je m'en vais, je ne pourrai pas régler l'affaire !

- Je voulais dire que moi, Georg-Max, j'ai réglé l'affaire.

- C'est pas clair, tu ne peux pas à la fois être moi et vous.

- Alors disons que je vous conseille de rentrer à Loryland et d'attendre tranquillement que l'affaire soit réglée. Par moi. Enfin, par nous. Même si je suis deux. C'est plus clair ?

- C'est à dire que si tu es deux, avec Max ça fait trois et peut-être qu'à vous trois vous vous en sortirez mieux que quand Max était Max et toi rien. Bien que Max ne soit apparemment plus rien et qu'un des deux en toi, l'ancien Georg, n'est pas grand-chose non plus. Et puis ça ne me plaît pas. Cette idée d'attendre. Lory et moi on doit partir dans deux jours et je voudrais être sûr que tout sera terminé avant. Merde, j'avais envie de régler ça moi-même. Avec ce nègre.

- Écoutez, patron, je fais de mon mieux. Et en plus on est sûrs de rien. C'est peut-être pas lui. Et comme je vous ai déjà dit, personne ne sait où il est. Notre seul espoir de lui mettre la main dessus est qu'il vienne récupérer sa moto – qui n'est pas tout à fait une moto. Il peut aussi ne jamais venir. Après tout, si c'est lui qui a fait le coup, je ne vois pas pourquoi il irait s'emmerder à récupérer cet engin alors qu'il a les moyens de se payer une Cadillac ! Si j'étais lui je serais déjà loin.

- Si tu étais lui il y aurait trop de monde en toi.

- Je me comprends.

- Ça en fait au moins un. Écoute, voilà ce qu'on va faire, Lory et moi. On va s'installer pour les deux jours qui viennent et vous... tu vas continuer tes recherches. Trouve une idée, c'est pour ça que je te paye. Tiens, je te donne une piste. Mais c'est une idée que tu aurais dû avoir toi-même, qui que tu sois. Si ce nègre a laissé sa moto – qui n'est pas tout à fait une moto -, il a peut-être pris un taxi pour se faire conduire dans un hôtel digne de ce nom, tu crois pas ? Alors vois les taxis...

- Mais, l'interrompit Georg-Max, vous savez combien il y a de taxis dans cette ville ?

- Non, tu en as une idée ?

- Peut-être mille, ou plus. Comment voulez-vous que je les interroge tous ?

- Je vois que malheureusement il y a encore du Georg en toi... soupira Winkel. Il ne t'est pas venu à l'esprit qu'ils ont leurs habitudes, leurs quartiers. Commence par interroger ceux qui stationnent dans le coin. Peut-être qu'avec un peu de chance... En tout cas bouge ton cul ! Allez, file ! Lory et moi on va aller demander une chambre !

     - Une chambre ici ! Intervint Lory qui depuis le début de cette passionnante conversation s'était assise à côté de Baby Max-Georg et jouait avec lui. Du côté où n'était pas Charlène, soit dit en passant. Chacun à son tour enlevait ou remettait à Schreck son porte-bébé et chaque fois qu'il disait : GRRrrr ! Mein kleinermann ! Ils éclataient de rire. Une chambre ici, reprit-elle, c'est hors de question. Tu crois pas que je vais passer ne serait-ce qu'une heure dans un tel boui-boui ! C'est le cauchemar !

     - Elle a raison, intervint Charlène à qui on n'avait rien demandé. C'est le chauchemar !

- Mais, ma chérie, argumenta Winkel, si on veut être sur le théâtre des opérations...

- Moi je ne tiens à être sur aucun théâtre ! Et quant à ton opération, tu sais ce que j'en pense ! Alors, fais ce que tu veux, reviens-moi couvert de puces si ça t'amuse, mais moi je vais me trouver un hôtel digne de ce nom comme tu disais tout à l'heure. Appelle-moi quand tu seras prêt à repartir. Je te dirai où je me trouve. Ciao ! Et sur ce elle prit son sac, déposa un baiser sur le front de Baby Max-Georg et sortit, laissant pantois un Winkel décontenancé, à moins que ce ne fût l'inverse.

- Vous savez, cria Georg-Max, il n'y a pas de puces ! Mais déjà elle était loin et ne l'entendit pas.

 

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