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Ma vie, mon oeuvre, mes rhumatismes
7 août 2014

Chapitre 34

...suite...

 

34

 

Ce qui restait de Bonny se tenait debout devant la fenêtre de la chambre où il s'était  laissé conduire aussi docilement qu'un bébé. Il contemplait l'océan. Disons qu'un observateur aurait pensé qu'il contemplait l'immensité liquide aux mystères insondables qui s'apparentait par ces deux propriétés au le cerveau du sergent, et parmi ces mystères, il en est un dont nous devons rendre compte ici : le sergent Bonny, ce qui demeurait de lui au plus profond de ses fosses marines et s'y tapissait jusqu'alors sans donner le moindre signe de vie sinon végétative, se mit tout à coup à vibrer. Et de cette vibration naquit une sensation qui se mua bientôt en quelque chose de l'ordre du désir. Ce désir, moteur absolu du vivant, lui fit tendre le bras, se servir de cette merveille mécanique qu'est la main humaine pour tourner la poignée de la fenêtre puis, l'enjamber et... basculer dans le vide.

Par bonheur pour ce qui restait du sergent Bonny, nous étions au rez-de-chaussée et Bonny ne fit que se fouler une cheville et se meurtrir un coude. Sa tête amortit bien le choc certes, mais comme il n'y avait de ce côté-ci plus grand-chose à détraquer, le dommage fut minime.

De toute façon, personne ne l'avait vu tomber, alors. Bref, une fois debout, Bonny se dirigea comme un somnambule boiteux au coude en sang (et non pas au coup d'encens) vers la grève où la mer, monotone, lancinante, répétitive il faut le dire, sans arrêt roulait son sable à défaut de galets, spectacle qui à la longue vous saoulait quelque peu, ce qui est une propriété très peu connue de l'eau.

Bonny n'avait en tête qu'une idée, (une seconde était apparue mais la première avait dit une de nous deux est de trop dans ce cerveau et elle l'avait chassée à grands coups de mépris) mais elle était fixe, elle au moins. On aurait pu la regarder des heures sans attraper le tournis.

Comme il traversait la plage il croisa Winkel qui n'en crut pas ses yeux. Il y avait tout de même de drôles de types sur terre et celui-ci portait une curieuse tenue de bain ! Sans parler de cet infâme bandeau qui commençait à se détacher et pendait lamentablement sur ses oreilles. Encore un peu et il lui ferait un collier de la dernière élégance !

Bonny lui, ne le remarqua même pas. Il avançait du pas serein du pèlerin boiteux approchant de la grotte de Lourdes et qui se demande à qui il va bien pouvoir refourguer ses béquilles et à quel prix.

Il fonça droit sur Jonas et Lory, les dépassa et s'avança résolument dans l'eau. Au bout de quelques pas sa chemise de nuit se mit à flotter au tour de sa taille. A cause de son blanc laiteux, on aurait dit qu'il s'était confectionné une robe avec une méduse géante. Quelques pas plus loin il disparaissait tout à fait, sa présence étant marquée seulement par la méduse qui s'était transformée en œillet en se rabattant au-dessus de sa tête.

Jonas ne fit ni une ni deux, et pas davantage trois, c'eût sans doute été trop tard. Il fonça. Un instant plus tard il ramenait le sergent Bonny sur terre, l'allongeait sur le dos et entreprenait de le vider des litres d'eau salée qu'il avait avalé. Jonas n'avait pas suivi de cours de secourisme, mais il pensait que si l'on se servait du bras comme du manche d'une pompe telle qu'il y en avait une dans la cour de la ferme familiale, et qu'il appuyait assez fort sur le ventre, l'eau finirait par jaillir par la bouche. Donc, il se mit debout sur la bedaine de Bonny et demanda à Lory de pomper, ce qu'elle fit avec plaisir. Tire et pousse, ceci cela, finalement, après seulement quelques dizaines de secondes d'effort, Bonny se mit à hoqueter, tousser, cracher puis il se vida. La mer retrouva son niveau.

Jonas regarda plus attentivement l'homme qui s'asseyait sur son cul pour cracher ses derniers litres d'eau. Un bandeau fait d'une bande de vieille peau, à moins que ce ne fût une bande Velpeau, difficile à définir dans l'état où elle se trouvait, masquait en partie son visage, mais ce visage ne lui était pas inconnu, il en aurait juré. Il le dégagea et le posa dans le sable. L'homme avait le crane rasé et orné de très belles cicatrices récentes qui purulaient légèrement, à moins qu'elles ne suppurassent, bien que l'eau salée les eût en partie nettoyées. En tout état de cause, elles pullulaient.

Il l'observa avec une attention redoublée, oui, c'était bien cela, cette face d'abruti, ce regard qui, lorsque vous y plongiez les yeux faisait songer avec horreur au néant le plus absolu, ce sourire niais exprimant la satisfaction du cochon qui vient de se rouler dans sa bauge, ce ne pouvait qu'être le sergent Bonny !

Le sergent Bonny ? ? ? ! Qu'est-ce que le sergent Bonny faisait ici et dans cet appareil ? Nous sommes hélas au regret de constater que Jonas, qui a lu des milliers de livres, n'a pas pris la peine d'ouvrir celui-ci, sinon, il n'aurait même pas eu à se poser la question. Misère ! Dans quel monde vivons-nous ? Par bonheur, l'auteur n'est pas homme à se vexer pour si peu, aussi va-t-il poursuivre ce récit.

- Bonny ? Interrogea Jonas. Vous êtes bien le sergent Bonny ?

- ny... répondit Bonny.

- Mais qu'est-ce que...?

- queue... répondit Bonny. A ce moment, Cyndy intervint :

« Tu vois bien que ce pauvre homme n'a plus toute sa raison ! » dit-elle.

- Si c'est bien celui à qui je pense, il n'en a jamais eu la moindre ! Répliqua Jonas, inquiet. Si Bonny avait retrouvé sa trace, alors d'autres le feraient aussi. Il devait s'attendre à les voir débarquer sous peu.

- Allez, aide-moi, dit Cyndy, nous ne pouvons pas le laisser dans un tel état. Et, montrant l'exemple, elle passa un bras de Bonny autour de son épaule. Que pouvait faire Jonas sinon se saisir de l'autre bras. « Tu connais cet homme ? » ajouta-t-elle.

     - Sûr, c'est le flic de Wannacut et j'ai beau réfléchir, je n'arrive pas à comprendre comment il m'a retrouvé. Surtout dans cet état...

     - Attend, dit Cyndy, il y a quelque chose qui ne va pas. Rappelle-toi, au chapitre dit 20, Bonny se débarrasse de son bandeau. Or, on vient de voir qu'il en avait un.

     - Merde, encore un coup de l'auteur qui ne sait plus ce qu'il écrit. Tant pis. Poursuivons...

Affermissant leur prise, il trainèrent Bonny jusqu'à l'hôtel et ce n'était pas une mince affaire, ce cochon était lourd comme un porc et aussi habile à mettre un pied devant l'autre qu'un unijambiste. Sa chemise de nuit collait à son corps gras et velu et l'empêtrait si bien dans ses maladroites tentatives d'aider ses protecteurs qu'ils eussent préféré qu'à tout prendre il se laissât porter. D'autant plus qu'elle emportait avec elle la moitié de la plage, le sable dégringolant par plaques du tissu détrempé au hasard des cahots que la démarche du trio imprimait à leur pour le moins curieux équipage.

Il le secouèrent dans l'entrée, abandonnant sur le pas de la porte de quoi bâtir un beau château de sable. Dommage qu'il n'y eût pas d'enfant pour en profiter. Puis ils l'abandonnèrent sur un sofa où il s'affaissa, les bras ballants jusqu'au sol, la tête pendant sur sa poitrine.

 - Jonas tapa du poing sur la sonnette et bientôt apparut le concierge, qui faisait également office de patron de l'hôtel. Il ne put s'empêcher de remarquer qu'il allait devoir remplacer le sofa, dès que la chose qui y était déposée en aurait été retirée.

- C'est à vous, ça ? demanda-t-il poliment, avec cependant un air de dégoût sur le visage.

- Nous espérions justement, ma compagne et moi-même, que vous alliez pouvoir nous renseigner à son sujet. Nous l'avons trouvé au fond de l'eau...

- A votre place nous l'y aurions laissé, déclara placidement le patron qui faisait également office de concierge à ses moments perdus, et ils étaient nombreux, au point qu'il se demandait parfois s'il était bien rentable de payer un employé pour faire son boulot à sa place. Mais laissons là les états d'âme de ce négrier et consacrons la suite de ce chapitre à des considérations et aventures plus excitantes.

- Il se serait noyé ! intervint Cyndy.

- Ah ! Parce que c'est vivant ?

- Je me le suis souvent demandé, mais grâce à nous, oui, fit Jonas. J'imagine que ce monsieur a prit une chambre, pourrions-nous savoir laquelle afin que nous l'y conduisissions de ce pas, précisa-t-il sans être tout à fait certain du bon emploi du verbe conduire.

- Attendez voir, fit le concierge en sortant de derrière son comptoir et en s'approchant avec circonspection de la chose en question. Il lui releva le menton, le laissa lourdement retomber. « Oui, fit-il, si l'on y met un bandeau, ça pourrait bien être lui...

- Qui ça, lui ? demanda Cyndy.

- Ce type qu'un taxi a...  - Il hésita a dire déféquer – déposé hier soir.

- Il a donc bien prit une chambre ! dit Jonas.

- Une seconde, je consulte mon patron... Il s'interrogea puis la réponse fusa : Non, ce monsieur n'a jamais réservé de chambre.

- Ah bon ? Je croyais pourtant...

- Quelqu'un l'a réservée à sa place et nous l'a envoyé. C'est la treize et demi. Oui, c'est à cause des personnes superstitieuses, on l'appelle comme ça.

 - Qui a réservé pour lui ? demanda Jonas de plus en plus intrigué. Ses chefs ?

- Ses chefs ? Répéta le concierge. ( Il passait en effet d'un état à un autre selon l'humeur et la réponse ou l'information à donner ) Chefs de quoi ?

- Ben de la police !

- La police !

- Ben oui, la police, dit Jonas quelque peu agacé que le type répète systématiquement tout ce qu'il disait. Ce monsieur est policier. Personne ne pourrait le croire, même quand il est dans son état normal, mais c'est pourtant le cas. Et un cas c'en est un, vous pouvez me faire confiance.

- Personne n'en doute... Qu'est-ce que vous comptez en faire ? Appeler ses chefs ? Ou alors vous pourriez vous adresser aux deux autres policiers qui sont descendus dans l'établissement.

- Il y a ici des policiers ?

- En vacances, oui. Enfin, quand je dis deux, ce serait plutôt un et demi, à peine... Il se pencha vers l'oreille de Jonas, Cyndy tendit la sienne. Oui, il y en a un des deux qui joue sans cesse avec une espèce de... petite figurine en plastique qui représente Schreck, vous savez qui est Schreck ?, et moi je dis qu'il a pas l'air plus malin que votre... comment s'appelle cette chose ?

- Lui, vous voulez dire ? Bonny. Sergent Bonny.

- Que votre Bonny. Sergent Bonny. A ce propos, vous pensez en faire quoi ?

- Ben le ramener dans sa chambre et aviser. Faut lui faire un brin de toilette.

- Une douche froide, c'est ça qu'il lui faut.

- Pourquoi froide.

Le patron fit à Jonas le geste d'approcher, il se pencha derechef vers son visage, Cyndy approcha derechef le sien, il prit un air de conspirateur et souffla, je voudrais pas dire mais... il bande.

Cyndy et Jonas se retournèrent comme un seul homme et une seule femme et purent constater en effet qu'une bosse assez conséquente s'était formée entre les cuisses mastocs de Bonny et qu'il observait la chose avec beaucoup d'attention sinon de l'intérêt.

- Vous comprenez, si des clients arrivent, ça la foutra mal, dit le concierge, aussi, si c'était un effet de votre bonté que de m'en débarrasser, je vous en serais reconnaissant, ajouta le patron. Et vite. J'en vois justement deux qui arrivent. C'est des nouveaux, dit le concierge, faudrait pas les faire fuir, mon patron ne me le pardonnerait pas, déjà qu'il est à deux doigts de me donner mon congé...

Jonas et Cyndy ne se firent pas prier davantage, ils reprirent leur paquet et le hissèrent sur ses jambes. Bonny souriait béatement. Il fit un effort qui semblait requérir toute son énergie, les yeux plantés dans ceux de Cyndy, ouvrit la bouche à plusieurs reprises comme un poisson sorti de l'eau, ahanant et bavant comme un bouledogue qui a vu un teckel, puis il laissa échapper deux syllabes : « Hil... trud... »

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