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Ma vie, mon oeuvre, mes rhumatismes
20 juillet 2014

Encore un peu ?

Suite...

 

26

 

Le temps de poser son bagage sous le lit et son cul par-dessus, Max avait informé Winkel de leur adresse. Georg, de son côté, s’était allongé, les bras croisés sous la nuque et il écoutait attentivement, fasciné, cette voix qui parlait dans sa tête, prononçant des mots qu’il entendait pour la première fois. Le plus étonnant était que Max le comprenait. Mais comprendrait-il si Georg était amené à faire ce que lui ordonnait la voix ? Rien n’était moins sûr.

Charlène, quant à elle, seule dans sa chambrette, broyait du noir alors que Max en rêvait. Pas de Charlène, on l'aura compris.

 

«  Vous êtes en route, patron ? » demanda Baby Max.

- Heu... pour ainsi dire, répondit Winkel alors qu’ils étaient encore à plus de trois heures du départ. Des nouvelles sur le nègre ? s’empressa-t-il d’interroger avant que Max ait eu le temps de ricaner, fût-ce intérieurement.

- Il a passé la nuit dans l’hôtel où nous sommes. Mais personne ne sait où il est allé ensuite. Mais si on l’a trouvé ici, on le retrouvera ailleurs, où qu’il soit. A condition qu’il soit en ville.

- Vous avez fait vite, c’est bien !

     - Un peu de chance, c’est tout. Dans notre métier il faut de la chance.

     - Je croyais que tu ne comptais jamais sur la chance !

     - Oui, mais plusieurs chapitres ont passé entre temps et j'ai revu ma copie.

- Bien. Espérons qu’elle nous conduira rapidement jusqu’à lui.

- A partir de maintenant je prends le relais de la chance. On peut pas vraiment compter sur elle, ça reste vrai. Je vais traîner dans le coin, c’est bien le diable si je ne recueille pas quelques informations. Mais vous savez, patron, je ne peux rien vous garantir. Avec ce genre de type on sait pas où on va, c’est pas un professionnel, à présent on en est sûrs, Georg et moi. Et les amateurs sont les plus durs à repérer, je ne vous apprends rien. Ce mec-là, si on l’attrape pas rapidement, il va nous glisser entre les doigts. Je pense que vous comprenez.

- Oui, oui, Max, je sais. Fais de ton mieux.

Winkel était un militaire de formation. Il savait que Max disait vrai. Rien n’était pire pour un homme organisé que ces amateurs qui improvisent sans cesse parce qu’ils n’ont aucune idée de la gestion rationnelle d’une situation. Des poètes  en quelque sorte ! Et que pouvait-on bien comprendre à la poésie ? ! Et par conséquent au fonctionnement des poètes.

- Bon, ajouta Max, il y a tout de même une petite chance pour qu’il ne se soit pas trop éloigné et qu’on le voit rappliquer dans le quartier. Il roule à moto et il l’a laissée à la garde d’un gamin. Il va donc venir la récupérer.

- Tu as appris tout ça en si peu de temps ? ! Tu m’épates, Max !

- La chance, comme je vous disais. Un heureux concours de circonstances. Je vais pas vous expliquer ça au téléphone, ce serait trop long...

- Tout va bien Max ?

- Oui patron, pourquoi ?

- Je sais pas, je sens quelque chose dans ta voix... C’est pas comme d’habitude.

Max répugnait à parler de Georg comme il allait le faire. Après tout, Georg était son partenaire de longue date, et bien qu’il n’ait pas inventé l’eau froide, il faisait merveilleusement bien son travail. C’était un homme sûr comme il y en avait peu. Et qui obéissait sans poser, ni se poser, de questions. Mais Winkel posait, lui, une question à laquelle il lui fallait bien répondre.

- C’est Georg, dit-il. Je ne sais pas ce qu’il a depuis quelques temps. Il m'inquiète.

- Qu’est-ce qui se passe avec Georg ?

- Comment savoir ? Il s’est mis à parler...

- Oui... ?

- Vous entendez ce que je vous ai dit ? Georg parle ! Je veux dire qu’il fait de vraies phrases et qu’il donne son avis, des trucs comme ça.

- Oui, c’est étrange. Il a pas pris quelque chose... ?

- Quelque chose ? Quelle chose ? fit Max peu convainquant en commençant à transpirer.

- Allons, Max, tu sais bien que je suis au courant de tout. Et je sais que tu sais, ne joue pas les innocents avec moi. Alors ? Qu’est-ce qu’il a pris ?

- Rien à ma connaissance... enfin, pas plus que d’habitude... puisque vous savez, eh bien, un peu de coke, mais c’est tout.

- Peut-être qu’il s’est fait refiler une merde ?

- Vous connaissez Georg ! personne au monde pourrait lui refiler un produit qui ne serait pas pur. Il a l’odorat d’un chien, même s’il a le cerveau d’une puce. Remarquez que ça ne l’empêche pas d’être toujours aussi efficace. Il y a juste que je suis pas habitué...

- Surveille-le de près, et si ça dégénère, s’il met l’opération en danger alors... tu sais ce qu’il te reste à faire...

- Oui patron, oui... laissa tomber Max la mort dans l’âme. Il s’était habitué à Georg. Georg était un partenaire de tout repos. Jusqu’à ce qu’il se mette à parler. A dire des trucs incompréhensibles. Et puis, devait-il l’avouer ? il avait fini par ressentir une sorte de tendresse pour Georg. Comme on en éprouve pour un chien un peu pataud. Une brave bête quelquefois un peu encombrante, mais qui est toujours là quand on a besoin d'elle. Prête à défendre son maître à la moindre menace malgré un caractère peu emporté.

Après tout, se rassura Max, Winkel avait peut-être bien raison, Georg s’était sans doute fait refiler un produit mal coupé et n’y avait-il vu que du feu ! Rien de grave. Dès que les effets se seraient estompés, il redeviendrait le Georg qu’il connaissait, avec ses groumph, ses grrrrrr, ses arrrff. Et sa cervelle de moineau.

Il alla frapper à sa porte. Dans la seconde Georg se tenait devant lui, prêt à l’action. Il y avait bien quelque chose d’un peu bizarre dans son œil, ainsi qu’une sorte de sourire inhabituel sur ses lèvres, mais il était là. A moins que ce ne fût-ce lui, Max, qui trouvât de l’étrange là où il n’y avait que du bizarre  à l’ordinaire.

- Ça va, Georg ?

- Oui, Max. Et toi ? Je te trouve bizarre.

- Bizarre ?

C’était le monde à l’envers. Jamais Georg ne l’avait appelé par son prénom. Encore une nouveauté. Et jamais il ne s’était inquiété – à haute voix – de son état de santé.

- Oui, je te trouve un air... je veux dire, c’est comme si tu venais d’apprendre une mauvaise nouvelle. Je te trouve un peu pâlot. Tu es sûr que ça va ? Tu te sens d’attaque ?

- Mais enfin, Georg ! Qu’est-ce qui t’arrive à la fin ?

- Je t’ai dit, c’est cette voix...

- Bordel, mais de quoi tu parles ?

Georg le poussa fermement bien que sans violence vers la sortie. Et le plus étonnant est que Max se laissa faire.

- Et si on reprenait cette conversation plus tard ? dit Georg. Pour l’heure nous avons à chercher des renseignements sur notre homme, ce nègre qui roule avec ta Batavus. Comment on procède ? Je préconise que nous nous munissions d’un plan du quartier et que nous l’explorions chacun de notre côté. Qu’est-ce que tu en penses ? Dommage que nous n’ayons pas une photo, on aurait pu la montrer ici et là. C’est bête, on aurait dû demander à sa mère. Sur ce coup-là on s’est montrés un peu légers, tu crois pas ?

- Oui, Georg, oui... fit Max abasourdi, complètement défait.

- Eh bien, allons-y. Ne perdons pas de temps. Winkel ne va pas tarder à rappliquer et ce serait bien d’avoir quelque chose à lui mettre sous la dent. J’ai repéré un drugstore, on devrait y trouver notre bonheur. On a qu’à se donner rendez-vous devant l’hôtel dans, disons... il consulta sa montre, trois heures.

Max se sentait « bizarre » et bizarre il l’était, Georg avait raison. C’était comme si tout à coup son cerveau s’était embrumé sous l’effet d’une immense fatigue et que les contours de ce qui d’ordinaire se présentait à lui sous des traits nets et précis se fussent troublés, fussent devenus vaporeux, sans consistance, un peu comme dans ces films de troisième zone lorsque l’héroïne se trouve soudain confrontée à des souvenirs heureux ou malheureux, avec les voix qui résonnent au milieu d’un décor qui ne serait pas sans rappeler les photographies mièvres et sans qualités d’un David Hamilton.

Il voulut parler, répondre à Georg que le chef c’était lui mais ne put émettre qu’un « Grommmph ! » que Georg prit pour une approbation.

Ce qu’au fond il était.

Georg alla frapper à la porte de Charlène. Finalement cette petite lui plaisait bien.

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