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Ma vie, mon oeuvre, mes rhumatismes
7 juillet 2014

Puisqu'il faut bien une suite tant que ce n'est pas fini...

On y va... Suite...

 

 

Chapitre suivant, dit 20

(ce qui tombe bien, nous avons fort besoin d’une aide extérieure.)

 

A port-Cinglant on était habitué à en voir de toutes les couleurs, mais la marche erratique de Bonny fit sensation. Et déclencha une vague de rire qui progressait de rue en rue au fur et à mesure que celui qui ne se rappelait pas être le sergent Bonny avançait sans but. Bonny boitait beaucoup, la sorte de camisole qui couvrait son corps nu jusqu’aux pieds était plaquée à sa peau par les effets conjugués de la pluie et du vent, laissant apparaître une chair molle, flasque et rose dépourvue de tout attrait. Sa bedaine, privée du soutien de son ceinturon à boucle d’airain, pendait comme une tenture de brocart ( à motifs de broquards ? ) aux plis lourds et massifs et dérobait à la vue ses bijoux de famille, ainsi nul Arsène Lupin en jupon n’était tentée d’y mettre la main. Mais tout le monde lui envoyait des brocards de la plus belle eau. Une eau qui tombait, et pas seulement sous le sens, si bien que son bandage de tête détrempé s’effondrait lentement sur son visage hâve tel un plat de spaghetti fraîchement renversé. Il le repoussait sur son front d’un geste mécanique et répétitif, mais les lois de la pesanteur – appelées autrement force ou attraction gravifique - étant ce qu’elles sont, celui-ci ne tenait pas en place et retombait chaque fois plus bas sur le visage tuméfié jusqu’à ce que l’ensemble se retrouvât autour de son cou et qu’il n’eût d’autre alternative que de le jeter au ruisseau. Opération qui ne se fit pas sans quelque difficulté, comme on peut le penser et tel que le virent dans un éclair les passants qui se hâtaient sous la pluie diluvienne, ou l’observèrent les badauds réfugiés à l’abri de portes cochères où ils profitaient de l’aubaine pour négocier le prix d’une passe aux prostipatétiputes pathétiques et prostrées qui avaient eu la même idée et dont la soirée risquait de tomber à l’eau. Ce ne furent que contorsions, hue et ha et grimaces assorties. Les cicatrices étaient jolies, légèrement suintantes de pus et de sang, mais l’averse se chargeait de récurer tout ça. Une nuit à ce régime et elles seraient comme des sous neufs.

Bonny ne souffrait pas beaucoup, sinon d’une solide amnésie à la forme particulière dite du Carassius Auratus, le fameux poisson rouge dont on prétend qu’il n’a une mémoire que de trois secondes. Il a cependant été prouvé que c’est faux, sa mémoire de la douleur pouvant aller jusqu’à trois jours et jusqu’à trois mois pour certaines autres informations. Cependant et pour autant qu’on le sache, celui qui ne se rappelait pas avoir été le sergent Bonny, oubliait sa douleur, lui, au fur et à mesure qu’elle lui lançait ses traits. A peine avait-il mal qu’il l’oubliait et comme il avait mal sans discontinuer, nous pouvons en conclure que, contrairement à ce qui a été affirmé plus haut, celui qui ne se rappelait pas avoir été le sergent Bonny, souffrait atrocement. Mais il en perdait aussitôt la mémoire. La boucle était ainsi bouclée sans que nous sachions au final si Bonny souffrait ou ne souffrait pas.

Mais il avançait. Du pas hésitant de l’homme qui ne sait où aller ni pourquoi il devrait y aller. Ou plutôt, Bonny semblait hésiter. En réalité, oubliant qu’un pas en appelait un autre et ne se souvenant pas du pas précédent, Bonny croyait toujours faire le même pas. Et ne se souvenant pas davantage avoir vu telle ou telle devanture, tel ou tel réverbère, ( auquel il ne se souvenait pas non plus s’être cogné, soi dit en passant ) tel ou tel ivrogne ( idem ), Bonny ne s’étonnait pas que, faisant sans cesse le même pas, le paysage urbain changeât, et ses passants, et ses errants, et ses stationnaires, ses croupissants, ses malfaisants.

De ces derniers le quartier était plein d’ordinaire, que par chance la pluie avait chassés.

Bonny fit un nouveau pas ( pensant toujours qu’il s’agissait du même ), dérapa dans la boue et s’étala de tout son long.

La rue entière éclata de rire ainsi qu’un nouvel orage qui, lui, ne plaisantait pas. Un véritable déluge.

Chute et référence biblique qui offrirent à Georg l’occasion d’étaler sa science, ou de ramener sa graine, selon qu’on préférât l’une ou l’autre expression.

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