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Ma vie, mon oeuvre, mes rhumatismes
7 mai 2014

On dirait que ça remarche...

...suite... 14ème... vous n'êtes pas tirés d'affaire, il en compte 36, plus l'épilogue...

 

14

 

Quinze jours plus tard...

 

Le sergent Bonny émergea d’un rêve qui avait tout du cauchemar.

Enfin, le sergent Bonny...

L’homme qui sortit de son cauchemar ne se souvenait pas qu’il était sergent.

Il ne souvenait pas davantage être Bonny.

En fait le sergent Bonny avait perdu l’essentiel de sa mémoire. Les mauvaises langues diraient qu’il n’avait pas perdu grand-chose. Mais ce sont de mauvaises langues, peut-on accorder le moindre crédit à leurs paroles... ?

Oui en ce qui concerne le sergent Bonny.

Car sa mémoire était totalement effacée, comme on reformate un disque dur. Le blanc. Là où l’on pourrait écrire une chronique de tous les possibles. Moins un. Celui qui suit et qui de possible se transforme en réalité.

Le sergent Bonny était de constitution solide. D’autres que lui n’auraient pas survécus à son accident. Lui si, et remarquablement qui plus est.

Il s’assit sur son lit du service de réanimation sans savoir qu’il était dans un service de réanimation, ignorant ce qu’était un hôpital, étonné de constater que des tuyaux et un nombre impressionnant de fils électriques étaient relié à son corps. Il arracha tout ça, se leva sans trop de peine pour un homme qui avait subi tant d’avatars et se dirigea vers la lumière qui filtrait à travers la vitre dépolie de sa chambre. Les appareils auxquels il était relié se mirent à clignoter, hululer, couiner, siffler, sans que quiconque, soit que les infirmières de garde (il était deux heures du matin passées) fussent occupées à d’autres tâches, ou qu’elles fussent occupées à d’autres tâches encore qu’il serait indécent de dénoncer ici, après tout ces braves femmes ont parfaitement le droit d’avoir une sexualité. Et pas seulement une fois rentrées à la maison, sans que quiconque donc, ne s’en avisât. L’homme est une bête, et la femme aussi. L’un et l’autre suivent leurs instincts. Ce n’est pas nous qui allons le leur reprocher. Ou si c’est vous ce ne sera pas moi .

Bonny, et sans savoir qu’il faisait un zeugme, fit de même, je veux dire suivre son instinct, ainsi que le couloir qui s’ouvrait à sa gauche en sortant de la chambre, lequel le conduisit dans un hall où, derrière son bureau, Simone de Bavouard, la préposée aux entrées et sorties, rêvassait en souriant bêtement à son médecin d’amoureux, ou l’inverse. Soyons clair, le médecin dont elle était amoureuse n’était pas là, nous devrions donc plutôt dire qu’elle souriait bêtement en rêvassant de son amoureux qui se trouvait être médecin. Dans son rêve, il lui offrait une bicyclette toute neuve, équipée de douze vitesses et d'un dérailleur de marque Compagnolo. Comme le pédalier était muni de trois plateaux, le nombre de vitesses était en fait de 36, nombre considérable si l’on songe que le vélocypédiste moyen n’en utilise généralement que cinq ou six. Mais il en est ainsi des rêves, toujours plus beaux que la réalité. Bref .

Ne nous éloignons pas, Bonny s’en charge. Mlle Simone de Bavouard le vit passer comme s’il était un promeneur croisé le long de la route où elle filait à vive allure, sa longue chevelure auburn s'offrant au vent que produisait sa vitesse et elle ne fut pas particulièrement intriguée par cet homme en chemise de nuit, pieds nus, la tête bandée et un cateter fixé à la pliure du coude. Qui de plus boitait méchamment. Et se tenait les côtes. Mais pas de rire.

Elle sortit tout de même de sa rêverie, par réflexe sans doute, pour lui demander s’il cherchait quelqu’un et sans se départir de son sourire idiot.

« Quelqu’un, » répondit Bonny et cette réponse lui suffit, elle replongea dans son rêve médico-vélocypédiste.

Bonny, de son pas de somnambule boiteux, trouva la sortie, poussa les portes battantes et se retrouva sur le parking presque vide à cette heure – deux heures du matin. Était-ce la lune ou Bonny avait-il la pâleur de la mort... ? Il le traversa, le parking, le quitta et se mit à longer la route qui se présentait à sa droite, car son boitement l’entraînait inexorablement dans cette direction. Ça tombait bien, Bonny avait toujours éprouvé un penchant naturel pour la droite, que ce fût lors des élections ou lorsque jeune homme il pratiquait la boxe en amateur. Il se servait toujours de sa droite, pourtant très maladroite, si bien que chaque fois qu’il la lançait, il prenait celle de son adversaire en pleine poire. Ainsi ne fit-il qu'une brève carrière dans le noble art, son entraineur lui ayant conseillé après son troisième K.O.  en trois matches, d'essayer le ping-pong. Ce qu’il fit et dut abandonner rapidement aussi, son coup droit partant toujours à gauche. On n’ose imaginer ce que Bonny aurait fait de son arme de service si d’aventure il avait dû s’en servir pour autre chose que le tir aux vautours. Par exemple, que serait-il advenu de ses partenaires au cours d’une fusillade ? Par bonheur, tout ceci n’est que fiction et Bonny ne se souvenait pas avoir un jour porté une arme, ni même qu’existassent de tels engins de mort. Il se mit en marche, droit devant lui, aussi droit que son pas qui le portait à droite le permettait.

Il n’avait pas fait plus de trois-cent mètres quand un combi Wolswagen d’un autre âge se rangea sur le bas-côté.

Ceux qui l’occupaient aussi étaient d’un autre âge. De l’époque où porter les cheveux longs et des vêtements bariolés tout en écoutant de la musique psychédélique en fumant des pétards longs comme la guerre du Vietnam était de mode. Sur le combi était peint le sigle « Peace and Love » et ses cinq occupants avaient l’air de ce qu’ils étaient : de doux incultes abrutis par des années de drogue et de mauvais vin et nourris d’illusions. De braves types, quoi, qui n’auraient pas fait de mal à une mouche, d’ailleurs ils étaient végétariens, et une brave fille qui ne répondait plus depuis des années au nom de Nancy, mais à celui de Nana Vénanda-Regina, ce qui signifie Celle-qui-ne-se-fait-plus-appeller-Nancy-depuis-des-années.

Elle forma un V à l’aide de son index et son majeur et héla le sergent Bonny qui avançait tel un zombie frais sorti du tombeau dans sa chemise d’hôpital d’un blanc de suaire.

« Paix sur toi, frère ! accepterais-tu l’hospitalité de notre modeste véhicule ? Car Baba Advinképoura-Matra-Loukid a dit : ne laisse pas sur le chemin de ta route la fourmi égarée, car une saloperie de bagnole pourrait bien l’écraser. »

- ...ser, répondit Bonny, Se laissant guider jusqu’au véhicule où on le fit monter non sans certaine peine due tant à son poids et à sa passivité qu’aux effets des substances qu’avaient consommé le quintette et dont la fumée s’échappait à gros bouillon par la portière à glissière grande ouverte. On aurait pu penser que le combi était en flammes.

On lui fit une place et chacun le salua d’un signe cabalistique et de la formule : que Baba Advinképoura-Matra-Loukid te protège et t’accorde l’illumination, Oooooommmm ! puis il se trouva avec un joint entre les doigts sur lequel il tira par réflexe en croyant fumer une cigarette. Car si Bonny avait perdu l’essentiel de sa mémoire, son sang et son paléocortex eux, se souvenaient parfaitement de la nicotine et des quelques centaines d’autres substances plus ou moins nocives qui font le bonheur du fumeur patenté avant d’en faire un cadavre.

Il s’étouffa, car ce qu’il avait conservé de mémoire à ce sujet dans son cerveau fossile ne se souvenait pas des douceurs du THC.

Sur la plage qui se trouve au-dessus du moteur, trônait un petit autel en véritable plâtre imitation ivoire dédié au guru Baba Advinképoura-Matra-Loukid. Sur la photo plaquée au fond de l’autel, Baba Advinképoura portait cheveux longs et barbe blanche, mais la fumée des nombreuses bougies et de l’encens brûlés en son honneur avaient depuis longtemps tanné sa peau et noirci son système pileux, si bien que nul, mis à part ses cinq disciples, savaient que le demi-dieu portait barbe blanche et qu’il n’était pas plus indien que la sœur de Bonny s’il en avait eu une, mais originaire d’une contrée ou seul le blanc est la couleur de peau admise.

Éparpillées autour de l’autel, se trouvaient quelques exemplaires de la revue «  Nouvelles Divines » relatant par le menu les faits et gestes du guru de par le monde et surtout en Suisse où il avait récemment élu domicile car l’air y est sain, le chocolat excellent et les comptes en banques rarement visités par le fisc. Et sur une des vitres latérales du combi on trouvait une affichette qui prétendait sans rire que :

DIEU EST GRAND

MAIS

BABA ADVINKÉPOURA-MATRA-LOUKID

EST ENCORE PLUS GRAND

CAR IL RÉVÈLE DIEU

C’était ce qu’on appelait LA Connaissance, un truc pour initiés dont seuls ces derniers étaient à même de comprendre l’apparente contradiction.

Les quatre hommes se présentèrent mais leurs voix se perdirent dans les pétarades fumantes de l’antique épave qui prenait péniblement de la vitesse. Quoi qu’il en soit, Bonny, dans l’état où il se trouvait n’aurait pas capté leurs noms de moines bouddhisto-hippies-peau-de-lapin si d’aventure il eût régné un silence de monastère.

«  Et toi, frère, quel est ton nom ? » demanda celui qui s’était présenté sous le nom de Baba Ramdam-spoutnick, ce qui signifie Celui-qui fait-du-bruit-en-tournant, nom qui lui venait de l’époque où il pratiquait le dervichisme tourneur auprès d’un Maître potier.

- ... nom, répondit Bonny.

- Nous allons à Port-Cinglant, précisa le chauffeur, un certain Baba Rectumnia-Salao. Et toi, frère, où peut-on te déposer, si c’est sur notre chemin... ?

- ...min, répondit Bonny.

- Qu’est-il arrivé à ta tête ? interrogea celle qui depuis des années ne se faisait plus appeler Nancy, comme si elle remarquait seulement à présent ses bandages.

- ...tête, répondit Bonny.

- Eh bien désormais tu seras Baba Céphala-Bandana, lui signifia Baba Ramdam-Spoutnick, ce qui signifie Celui-qui-a-la-tête-loin-des-épaules. Frères, sœur, remercions Baba Advinképoura ( quand ils parlaient de lui ils l'appelaient par son petit nom en quelque sorte, ne l'énonçant jamais tout entier) d'avoir mis le frère Céphala-Bandana sur notre route.

- OOOoooooYéééééOooopoum-poum !

Ayant ainsi sacrifié au rituel ils roulèrent de nouveaux joints et ouvrirent quelques bouteilles de vin. Bonny... pardon, frère Baba Céphala-Bandana fut servi le premier.

«  Honneur à toi, » dit celle qui depuis des années avait renoncé à se faire appeler Nancy. Celui qui ignorait s’appeler Bonny, prit le joint, le porta à ses lèvres ainsi que la bouteille, ce qui provoqua un certain gâchis de marchandise. Il avala une partie de l’un et quelques gouttes de l’autre, toussa, cracha et s’endormit la tête posée sur les genoux de celle qui ne voulait plus qu’on l’appelle Nancy depuis des années. Elle posa une main sur le bandage et entreprit de lui caresser le crâne à travers la gaze. Bonny sourit dans son sommeil, mais nul ne pourrait dire sans se tromper ce qui rendait le sergent si joyeux. Peut-être faisait-il un rêve dans lequel il n’avait que de bons souvenirs ? Par exemple celui du jour où on lui avait remis son insigne et son arme de service, cérémonie qui faisait de lui un véritable policier. Honneur qu’il fut le seul de sa promotion à considérer comme naturel et parfaitement légitime. Aujourd’hui pourtant tout cela n’avait plus la moindre importance puisqu’avec le reste de sa mémoire, ce jour béni s’était effacé. Ou encore, la cuisse chaude et douce de celle que plus personne n’appelait Nancy depuis des années et qui en avait accueilli d’autres lui inspirait-elle des pensées auxquelles il n’aurait pas osé rêver du temps où son esprit s’approchait d’assez loin, il faut bien le dire, de celui de l’homo faber, espèce dans laquelle l’homme continue depuis des millénaires à se vautrer, pourtant persuadé  à tort qu’il a accédé au statut  enviable d’homo sapiens.

Quelques heures, beaucoup de fumée, ( de celle qui sortait du pot d’échappement et polluait tout le conté ) une trentaine de joints et plusieurs bouteilles de vins plus tard, le combi se rangea le long d’un trottoir de Port-Cinglant, éructa un dernier hoquet et cala tout à fait. Il était temps, le moteur était en surchauffe. Ils attendirent que se termine « Panama Red » le morceau le plus connu de « New Riders of the Purple Sage », extrait de leur deuxième album dans lequel Jerry Garcia avait été remplacé à la pedal steel guitar par Buddy Cage. Mais ceci est du domaine de l’histoire de la scène Rock Psychédélique des années 70 et n’entre pas dans le cadre de ce récit. Ou de façon très anecdotique. C’est juste question de mettre un peu d’ambiance dans ce combi dans lequel – Bonny excepté, qui lui dormait tout à fait - tous dormaient plus ou moins à moitié, chauffeur compris.

Quant à savoir par quel miracle ils arrivèrent tous les sept – c’est à dire les six hommes, la femme et le combi Wolsvagen – jusqu’à Port-Cinglant sans encombre et comment ils y arrivèrent si vite, cela ne peut s’expliquer que par la magie de la littérature qui, pour n’en être pas à son coup d’essai, prend de tels raccourcis.

Mais nous avons pris quinze jours d’avance, revenons sur nos pas...

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